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J’aurais pu me cacher, si j’avais voulu. Et ce qui m’est arrivé aurait été évité peut-être… Mais je ne l’ai pas voulu. J’ai marché en avant sur la première ligne. » Un autre a fait mieux encore. Sous la mitraille ennemie, il n’a pas voulu fuir, pour sauver de la mort un Allemand blessé ; il a payé sa charité d’une terrible blessure et de la perte de sa jambe, et, sur la table d’opérations, comme pour s’excuser d’avoir eu pitié d’un ennemi qu’il avait surpris à terre, sanglant, la photographie de sa petite à la main, il murmure : « Ce sont de pauvres diables… des hommes comme nous. » Un autre enfin, la veille de sa mort, écrit à sa mère : « Ma pauvre maman, je suis entre deux haies et les balles sifflent derrière ma tête. Je te fais mes adieux. Peut-être que je ne te reverrai pas… Mais ne te tourmente pas… Je suis gai… Je chante toujours… Je chanterai jusqu’au bout… » Le brave enfant ! Il ne s’est pas douté qu’il était sublime, et que ces simples lignes au crayon méritaient de passer à la postérité la plus reculée. Et ces officiers, si courageux et si tendres, qui s’avancent seuls sous les balles, et qui, le soir du combat, pleurent « comme des enfans » sur leurs bataillons décimés, et que leurs hommes trouvent « bien méritans, » et qu’ils pleurent, eux aussi, de toutes leurs larmes, quand ces chefs qu’ils aiment tombent à l’ennemi ! Chefs et soldats, leur bravoure ne se limite pas au champ de bataille : elle les accompagne dans les trains sanitaires, sur leur lit de douleur, et jusque sur la table d’opérations. Et dans les grandes affres de la mort, elle ne les abandonne pas davantage. Croyons-en là-dessus Mme Noëlle Roger : « Chaque matin, en arrivant, je passe dans les salles du rez-de-chaussée, où l’on isole les agonisans. Elles m’apparaissent revêtues d’une sorte de grandeur poignante : c’est là que se consomme le sacrifice. Et ces hommes, dont la mort s’approche comme une délivrance, me semblent des héros plus pathétiques encore que ceux qui sont tombés d’un seul coup dans l’ivresse de la bataille. Jamais une plainte, jamais une parole de révolte… Leur chair gémit, mais ces âmes n’ont point de défaillance. Nous n’entendons pas une invective contre cette guerre sacrée. »

L’héroïsme ne serait pas l’héroïsme, s’il n’allait de pair avec la modestie. Et tous ces braves gens qui, tant de fois, ont risqué leur vie, et que, de temps à autre, la médaille militaire ou une citation à l’ordre du jour vient récompenser de leur tranquille audace, sont d’une modestie charmante. Ils ne parlent guère de