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Moi, si mon mari n’était pas à la guerre, j’aurais déjà fermé l’hôtel et je serais partie, mais puisque lui s’expose, moi aussi je veux m’exposer… » Combien d’autres sont ainsi ! « Les Allemands eux-mêmes, d’après leurs déclarations, ne s’expliquent pas une telle obstination, un tel amour du terroir, une telle résistance à la menace perpétuelle, et, comme Goethe, il y a cent ans, ils se demandent quel secret possède la terre de France pour enraciner ainsi les âmes dans chaque village, dans chaque campagne, dans chaque ville. » Sous le canon, en pleine zone de guerre, la vie normale a repris son cours : les boutiques sont ouvertes ; les usines fument, des vieillards et des enfans labourent et sèment ; et celle activité sereine, nous conte M. Gomez Carrillo, est pour le journaliste américain qui l’accompagne un juste sujet d’émerveillement. A Sermaize, dont il ne reste pas pierre sur pierre, les villageois réunis projettent de reconstruire bien vite leurs demeures, pour que, l’été prochain, « après la victoire, les baigneurs puissent venir comme d’habitude » et que « lorsque les gars reviendront de la guerre, ils aient où coucher. » Et voici ce qu’à l’autre bout de la France, d’une petite ville de Savoie, une mère écrivait à son fils prisonnier à Strasbourg : « Je suppose que si l’on t’a pris, c’est que tu étais blessé et que tu ne pouvais te défendre ; viens bientôt pour que je puisse te soigner ; mais si tu n’es pas blessé et si tu t’es rendu, ne reviens jamais, parce que la ville aurait honte de toi. » Propos digne d’une Spartiate, et que nous sommes reconnaissans à M. Gomez Carrillo de nous avoir conservé. Lui qui citait Rudyard Kipling tout à l’heure, il est probable qu’il souscrirait entièrement à ce pittoresque jugement de l’écrivain anglais qui a visité après lui la France en guerre, et qui l’a très sincèrement admirée : « La France entière dirige son effort vers le front, absolument comme ceux qui font la chaîne pour combattre un incendie se passent les seaux d’eau de main en main. Quittez le feu et remontez à la source. Vous ne trouverez ni interruption, ni hâte apparente, mais un effort incessant. Chacun et chacune a son seau d’eau, grand ou petit, et personne ne songe à se demander comment il convient de s’en servir. »


Descendons jusqu’à l’incendie. M. Gomez Carrillo faisait partie de la caravane de journalistes étrangers et correspondans de