Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/933

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans ses prunelles vivaces, les éclairs passent, brillent, illuminent la pensée et ensuite disparaissent comme pour alimenter le foyer intérieur des méditations. On dirait que son visage sévère méconnaît presque le doux repos des sourires. » Son langage, son attitude expriment la décision, la confiance, et en même temps la simplicité, la modestie. Il ne dit pas : « Nous aurons la victoire ; » mais : « Nous l’avons. » Il souhaite que ses visiteurs voient tout, se rendent compte de tout : « Nous autres, dit-il, nous ne craignons pas la pleine lumière. » Et c’est à ses hommes qu’il rapporte toutes ses victoires : « Voilà ceux qui gagnent les batailles, et non moi… Le rôle du généralissime est presque terminé lorsqu’il a établi sa ligne d’attaque et qu’il a disposé en ordre les armées qui doivent combattre. » À l’un des journalistes qui le félicitent d’avoir gagné la plus grande bataille de tous les temps, il répond : « Ce que je sais, c’est que j’aurai bientôt gagné un repos définitif dans une maisonnette des Pyrénées… » Propos de Cincinnatus ? Ou, comme le veut M. Gomez Carrillo, désir de fier isolement « pour vivre avec les souvenirs des heures sublimes ? » Les deux peut-être ; mais en tout cas, comme nous sommes loin là de la jactance tudesque !


Pareillement, « les admirateurs exclusifs de la discipline prussienne » ne sauraient trouver leur compte à un contact prolongé avec les soldats de Joffre. Chez eux point de morgue, aucune différence de caste, rien de cette discipline rigide qui brise les volontés et les rend incapables d’initiative. « À condition que dans le combat tout soit impeccable et que le travail soit bien fait, le reste n’importe guère… Le généralissime inspire de la vénération, mais point de crainte, et les pioupious l’appellent joyeusement grand-père. » La bonne humeur, la gaité enfantine ne sont point proscrites, mais recommandées, et les officiers en prennent leur part ; ils ne partagent pas seulement les dangers, mais la vie de leurs subordonnés, et un journaliste japonais, que cite M. Gomez Carrillo, constate qu’ « en France, un capitaine est très capable de dormir sur la paille au milieu de ses hommes, et que très souvent il boit à la même bouteille que ses soldats. » Aux yeux du soldat français, les grades symbolisent non point des différences sociales, mais des