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diront pas que leurs ennemis, — leurs vainqueurs, — leur ont mesquinement marchandé les justes éloges.

Mais l’héroïsme français, par-dessus toutes ses autres qualités, en a une qui lui appartient bien en propre, et qui, véritablement, l’illumine : il n’est point guindé, il n’est point morose, il sait sourire. Ce trait a vivement frappé M. Gomez Carrillo, — ainsi qu’on témoigne le titre de son dernier volume, — et il a sur « l’incurable sourire de la race » plus d’une jolie page. Si celle-ci qui termine son premier livre, et qui doit donc exprimer son impression dernière, ne figurait pas, quelque jour prochain dans les anthologies de la littérature espagnole contemporaine, j’en serais infiniment surpris :

« Ceux qui ne connaissent Paris qu’avec sa fièvre perpétuelle et ses crispations permanentes n’ont pas la moindre idée de ce qu’est la gaîté française, ingénue, bruyante, guillerette, galante, fraîche, loquace, saine et robuste. « Rire gaulois, » disent les étrangers. Je préfère évoquer le rire athénien, fin et plein de ces nuances délicates qui surprennent chez le peuple et qui surprennent encore davantage chez le peuple armé et en guerre. « Ces hommes, écrivait avec un peu de mauvaise humeur le vieil Aristophane, en parlant des soldats de son époque, ont des tendances à ne voir l’existence que comme une partie de plaisir. » Des soldats de Joffre on pourrait dire la même chose. Les Allemands les taxent de légers, de superficiels, d’irrespectueux. A leur point de vue, les Allemands ont raison. Chaque peuple a les défauts nécessaires de ses qualités. Sans cette légèreté superficielle, comment la France d’aujourd’hui et de toujours pourrait-elle supporter les malheurs que le destin lui a fait subir ?… En riant et en chantant, elle a su traverser les plus tristes phases de son histoire. En chantant et en riant, elle est toujours arrivée à échapper à la prostration dans laquelle les peuples graves, comme l’Espagne, comme la Turquie, tombent aussitôt qu’ils se sentent abattus. Ah ! si la pauvre France de 1870 n’avait pas eu son rire !… Mais ceux qui ne voient pas ce qu’il y a de profond, de sérieux, de presque religieux sous cette légèreté, ne connaissent pas l’âme du pays. Marcher à la mort en chantant et en plaisantant, c’est sanctifier la frivolité. Où y a-t-il au monde des héros comme ceux de cette race, si ce n’est dans les gestes épiques de la Grèce ? D’autres peuples ont lutté par intérêt, par amour de l’indépendance, par vanité sacrée. Seule,