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le général, une grande carte était entourée d’un samovar, de deux ou trois verres, de nombreux papiers, et d’un pot rustique contenant des bleuets. Sur la seconde table se trouvaient d’autres papiers, quelques journaux russes et polonais, une boîte de fer-blanc pleine de biscuits, et une bouteille d’eau minérale. Toute la garde-robe du général pendait à des clous, derrière la porte. »

Mais surtout, dans la tranchée et ailleurs, ce sont les soldats russes que M. Liddell a eu l’occasion d’observer. Ajouterai-je qu’il me paraît les avoir observés d’un point de vue trop foncièrement « anglais, » avec une tendance excessive à condamner ce qu’il « découvrait » chez eux d’ « enfantin, » — comme déjà, tout à l’heure, dans le contenu de leurs poches ? À chaque instant nous devinons qu’il serait tenté de regarder comme des preuves d’un manque naturel d’intelligence tels traits qui, en fait, attestent seulement un grand fonds d’ignorance, ou bien encore le dédain d’une race d’enfans pour les réalités de la vie pratique. Peu s’en faut qu’il ne pousse même son injuste rigueur jusqu’à nous dénoncer comme contradictoire et dénuée de « sérieux » l’attitude du soldat russe à l’endroit des prisonniers allemands. « Le soldat russe s’en va au combat avec des vantardises puériles touchant les terribles choses qu’il fera si, par malheur, un soldat allemand lui tombe sous la main. Il jure d’arracher morceau par morceau la peau de l’ennemi, il jure de le hacher en tranches menues, de lui faire subir toute espèce de supplices plus monstrueux les uns que les autres. Mais qu’un soldat allemand ait la chance de tomber vraiment sous la main de ce féroce adversaire, et aussitôt le voici traité comme le plus honoré des hôtes et des amis ! Le soldat russe lui parlera avec une bonté merveilleuse. Il lui offrira la plus grosse partie de sa ration quotidienne, afin que le pauvre diable ne risque pas de souffrir de la faim. Il lui donnera jusqu’à ses cigarettes, — ce trésor si coûteux, si malaisément obtenu ! — et du matin au soir il tournera autour de lui pour veiller fraternellement à son bien-être. Et puis, lorsque l’ennemi ainsi traité s’en ira vers le camp lointain où l’on garde les prisonniers, avec quelle sollicitude affectueuse le soldat russe lui serrera la main et lui donnera une dernière cigarette, et combien ardemment il le plaindra, au fond de son cœur ! »

Oui, c’est chose certaine que M. Liddell n’est point parvenu à comprendre l’âme du soldat russe. Il nous rapporte un mot du général Sakharof, lui disant que « le plus grand malheur du soldat russe est d’être resté un enfant ; » et il nous déclare que, « maintenant qu’il connaît mieux les Russes, il se trouve d’accord, sur leur compte, avec