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races ne se pénètrent pas. Ils n’ont rien à nous dire. Qu’ils coupent, en ce qui nous concerne, leurs commentaires d’hypocrisie et de mensonge. Nous ne leur demandons rien. Nous ne voulons rien d’eux, pas même une explication.

Mais nous nous tournons vers les neutres. Aux neutres nous avons quelque chose à dire, quelque chose à demander, bien moins pour nous que pour eux-mêmes. Arbitres et témoins de l’humanité, qu’ils jugent nos ennemis et qu’ils nous jugent. Depuis plus de deux ans, l’Allemagne et ses acolytes pèchent chaque jour contre l’humanité entière, même contre les neutres, par « les quatre élémens, » la terre, l’eau, l’air et le feu, dont ils ont fait le théâtre ou l’instrument de leurs crimes. L’orgueil allemand et la crédulité allemande ont fini par s’épanouir dans le cas de folie collective le plus prodigieux qu’ait jamais constaté l’histoire. Ils ne disent plus seulement : « l’Allemagne au-dessus de tout, » mais : « l’Allemagne au lieu de tout. » Après avoir découvert le Surhomme, ils ont découvert le Surpeuple, la Surnation, le Surétat; et il va de soi que, pour eux, tout cela, c’est eux. Comme l’Allemagne, à ses propres yeux, par un décret nominatif de la Providence, est tout cela, comme elle est la raison, la sagesse, l’intelligence, la vertu, le travail, l’énergie, l’organisation, elle n’a qu’à déclarer sa volonté, qui sera nécessairement la formule supérieure du droit, et que sa mission est d’imposer au reste de la terre, pour son bien, en reculant, s’il le faut, les bornes de l’épouvantable. Nous qui ne sommes pas neutres, qui sommes engagés dans la bataille, nous avons fixé notre choix. Nous voulons être simplement des hommes, un peuple, une nation, un État; et nous nous chargeons de prouver à cette horde de pédans ensanglantés que ce n’est pas la moindre faute de leur psychologie grossière que d’avoir « surévalué » la « surterreur. »

Eux, cependant, les neutres, ils sont hommes aussi; ils sont aussi des peuples, des nations, des États ; ils sont aussi menacés, aussi offensés que nous par l’odieuse entreprise de lèse-humanité. Leurs signatures sont au bas de ces conventions de La Haye dont le gouvernement français a pris soin de placer le texte en épigraphe à chacun des chapitres de son Livre Blanc. Parmi eux, il y a la Scandinavie, Danois, Norvégiens et Suédois, qui estiment à si haut prix l’attachement au sol natal, l’indépendance de la personne ; il y a la Hollande et la Suisse, terres d’asile et de liberté; il y a la Roumanie, héritière orientale de Rome ; il y a la chevaleresque Espagne et son roi-chevalier; il y a les États-Unis, dont tant de gestes furent, ils s’en font