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l’Allemagne. Nos ennemis seuls sont responsables du sang qui sera encore versé. »

Ce n’est pas l’accablement, mais c’est la lassitude. Ce n’est pas l’abandon, mais c’est le doute. Et la voix de l’Empereur est ici la voix de l’Empire: elle s’enfle vainement en rodomontades qui tremblent. Conférenciers, publicistes, sauf une poignée d’énergumènes, et critiques militaires s’accordent jusqu’en leur désaccord. L’invocation à Hindenburg, la reprise même de la piraterie sont des signes. Moralement, l’Allemagne est battue. Si « moralement » voulait dire : « en morale, » elle le serait depuis le premier jour. Seulement, son amoralité la rend invulnérable à une défaite morale. Il faut qu’elle soit battue matériellement, et qu’elle sente le châtiment dans sa chair. Battue avec le marteau de son dieu Thor, dont on lui cassera le manche entre les mains. Elle le sera. « Je ne veux pas dire, précise le général Joffre, en son laconisme ordinaire, que la ruine de l’Allemagne est arrivée, mais je dis qu’elle arrivera. » Alors on pourra suivre l’idée émise à plusieurs reprises par M. Asquith, de déférer à une sorte de tribunal international et de faire condamner, comme criminels de droit commun tous ceux qui seraient reconnus coupables des actes dont le nom allemand est souillé. Cette guerre a créé tant de nouveau qu’on ne voit pas pourquoi la paix n’en créerait point. Un grand pas serait fait vers le règne du droit, s’il était désormais acquis que personne, si haut soit-il, ne se joue impunément du droit. Le droit des gens deviendrait un droit positif, la morale d’État une morale avec obligation et sanction. L’humanité aurait sa revanche; la Cour de La Haye, bafouée comme à plaisir, ne serait plus si ridicule. Et c’est une raison de plus pour nous, et pour les nations qui, avec nous, crurent à la valeur de « ces chiffons de papier, » de ne vouloir qu’une paix pleinement victorieuse.


CHARLES BENOIST.

Le Directeur-Gérant, RENE DOUMIC.