Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par le vent contraire. C’est ainsi, pour ne pas citer d’exemples plus anciens, qu’il m’a été signalé de diverses parts que la canonnade de Verdun est entendue beaucoup plus nettement dans certaines régions de la Bourgogne par vent contraire du Sud-Ouest que par vent favorable du Nord ou du Nord-Est. — Il est fort vraisemblable qu’entre ces régions et le front se trouve par vent contraire une zone de silence et que, si le vent du Nord correspond à une audition très inférieure, c’est que ce vent ramène toutes les ondes sonores vers le sol bien avant qu’elles aient pu parvenir dans les régions en question.

Il sera d’ailleurs nécessaire de multiplier encore beaucoup les observations, les expériences, avant de pouvoir se faire sur ces choses une opinion nette et définitive. L’incertitude qui les caractérise encore fait précisément que les explications théoriques pullulent à ce sujet, comme dans les champs mal défrichés pullulent les mauvaises herbes. Parmi les théories proposées, il en est même qui invoquent des causes géologiques et assurent que la recrudescence d’intensité du son qu’on remarque au delà des zones silencieuses provient seulement de ce qu’on est à l’extrémité d’une couche géologique aboutissant d’autre part au siège de la canonnade, le long de laquelle le son se propage par le sol, et qui, sous la zone du silence, s’enfonce profondément sous terre. — Se non e vero...

Il est pourtant une théorie du phénomène qui mérite d’être indiquée ici : elle fait appel au changement de composition de l’atmosphère avec l’altitude. Il est en effet tout à fait certain, notamment par suite des prélèvemens faits par les ballons-sondes, que l’atmosphère supérieure est plus riche en gaz légers, notamment en hydrogène, que l’air des couches basses. Or, comme la vitesse du son est beaucoup plus grande dans l’hydrogène que dans l’oxygène et l’azote, la vitesse du son à grande hauteur doit augmenter assez pour qu’il soit incurvé et recourbé vers le sol où il se concentre à nouveau, comme le démontre la théorie. Celle-ci est ingénieuse vraiment. Elle laisse entrevoir le jour où, sachant déterminer le temps qui s’écoule entre le départ des coups de canon et leur audition à la limite des zones de silence, on connaîtra la longueur exacte de son trajet dans l’atmosphère d’où l’on déduira mille conséquences subtiles. — C’est ainsi que, par une répercussion singulière, le fracas meurtrier de l’artillerie touche aux plus délicats problèmes de la science pure et permettra peut-être d’améliorer nos notions sur la composition chimique des gaz qui, à quelque 130 kilomètres au-dessus du sol, entre-choquent leurs légères molécules.