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secours. » Cette première fois, la Prusse s’en tira : elle avait le grand Frédéric. Mais, pour l’en tirer aujourd’hui, il faudrait d’autres gens que les Turcs, fort occupés à se sauver eux-mêmes, fort mal dans leurs affaires en Asie Mineure, rejetés sur Diarbekir, pressés sur le lac de Van, et qui devraient participer de l’ubiquité de Mackensen pour être dans le même moment partout où on les demande, dans les Carpathes avec les Autrichiens, à Doiran avec les Bulgares. L’Homme malade est tout étonné de se trouver tant d’amis. Mais cela aussi est un aveu : on ne devient pas l’ami intime de l’Homme malade, tant que l’on est soi-même très bien portant.

Et cela, tout cela, ne fait pas que les Russes n’aient de nouveau conquis la Bukovine, ne soient rentrés en Galicie, et ne frappent aux portes de la Transylvanie des coups qui retentissent à Budapest et jusqu’à Vienne. Ce n’est plus assez dire : ces coups, on les a entendus de Bucarest. Nous nous proposions de montrer, pour finir, les embarras de la Double Monarchie ; embarras de toute sorte, militaires, politiques, économiques. On eût vu qu’elle souffre au moins autant que l’Allemagne, dont elle n’a ni la densité de matière, ni l’intensité de vie, ni la solidité, ni l’organisation, ni, par suite, la résistance. On eût vu s’élever entre l’Autriche et la Hongrie, pour les problèmes de l’alimentation, les mêmes difficultés qu’entre l’Allemagne du Nord et l’Allemagne du Sud ; et, de plus, renaître ou s’aigrir, à l’intérieur de chacune des deux parties, les conflits des races, des langues et des nationalités. On eût vu ce que vaut, ce qu’a valu même au cours de la guerre, la fidélité, que les officieux prennent soin de faire sonner si haut, de millions de Slaves qui, pour être de familles ou de branches différentes, n’en ont pas moins obstinément et tumultueusement conscience d’être des Slaves. Cet assemblage, dont on a dit qu’il n’est pas même une expression géographique, à peine une expression diplomatique, l’Autriche-Hongrie, est comme les vieilles maisons qui ne tiennent que si l’on n’y touche pas : les poutres supportent encore les planchers, mais les bouts engagés dans la muraille sont pourris, et, au moindre choc, elles fléchissent parce qu’elles sont trop courtes. Il faut regarder d’ores et déjà comme un très important symptôme les disputes qui s’éveillent et qui transpercent au dehors entre le gouvernement et l’opposition, dans ce royaume de Hongrie qui possède un sens de l’État que l’empire d’Autriche n’a jamais eu et qui est l’épine dorsale de la monarchie des Habsbourg. Mais plus nous nous rapprocherons de la paix, plus nous retrouverons des occasions de revenir sur ce sujet que la constitution ethnique de l’Autriche-Hongrie main-