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ON CHANGERAIT PLUTÔT LE CŒUR DE PLACE…

mondes, ça donne une émotion, ça fait rêver, ça nourrit l’imagination. Et surtout c’est littéraire, parce que c’est avec ces trucs qu’on reprendra l’Alsace-Lorraine… »

Un éclat de rire accueille cette lecture. René se fâche tout rouge. Il croit qu’on se moque de lui.

— C’est épatant ! C’est la mienne qui est le plus chic… D’abord, littéraire, je ne sais pas ce que ça veut dire. Je suis scientifique, moi.

D’un mot Mme Bohler calme cette exaspération :

— Allons, allons, rire ce n’est pas se moquer. Elle est très bien, ta composition. Venez m’embrasser, mes garçons, et allez vous coucher…

Le porte s’est refermée. Les parens se regardent avec attendrissement. M. Bohler, qui n’est pas coutumier d’optimisme, dit soudain :

— Ils sont magnifiques, nos fils… Et quand je dis nos fils, je parle d’une façon générale. Partout, j’ai les mêmes échos. Ils ont quelque chose dans le cœur. Ils ont des muscles… Oui, oui, les Kummel et consorts n’ont qu’à se bien tenir !

— Vous ne vous ennuyez pas trop, monsieur Reymond ? demande parfois Mme Bohler.

— Pas du tout, madame.

Reymond ne dit pas la stricte vérité. Cet hiver lui paraît autrement long que le premier. Friedensbach lui a livré tous ses secrets, les vieux toutes leurs histoires. Où est, maintenant, l’Alsace héroïque qu’il croyait avoir surprise ?

Kummel se charge de mettre un peu de piment dans cette paix somnolente. Il vient d’avoir la visite de son frère, Walther Kummel qui demeure à Nancy, à Paris, à Bruxelles, à Cologne, à Berlin, un mois ici et un mois là, car ses affaires l’obligent à de fréquens déplacemens. Quelles affaires ?… Strasbourg et Metz le voient aussi fréquemment, Belfort et Épinal, les villes frontières de préférence. Ce Walther Kummel parle l’anglais, l’italien et le français aussi bien que sa langue maternelle. Aimable, insinuant, son étui à cigares toujours bien garni, il voit beaucoup de monde qu’il s’entend à faire parler. On dit de lui : « C’est un charmant homme. »

Il est donc venu à Friedensbach visiter son frère, ses sept