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y causa d’universels regrets. Frère d’un gendre de la reine Victoria, venu plusieurs fois à la cour britannique, il y était aimé et estimé ; il n’y comptait que des amis. C’est ce que constatait au mois de novembre le marquis Salisbury, premier ministre, dans un discours qu’il prononça au banquet du lord-maire et qui déchaîna en Russie et particulièrement chez le Tsar une irritation passionnée.

— Quel impair ! s’écria Bismarck en fermant le journal dans lequel il avait lu cette harangue. Est-il concevable qu’on n’évite pas une telle imprudence quand on est le premier ministre d’un grand État et quand on peut, par une parole inconsidérée, mettre en péril la vie de plus d’un million d’hommes ?

Du reste, le langage du marquis Salisbury était tout platonique et ne rendit pas au prince Alexandre la couronne à laquelle il venait de renoncer.

A Vienne, on fut déconcerté d’abord par la révolution de Sofia ; mais on apprit ensuite avec satisfaction que le prince était rentré dans ses États. « Il représente l’ordre, l’autorité, le droit dans un pays profondément troublé. » Mais on doutait qu’il pût garder la couronne. Quand il la déposa, des regrets se manifestèrent. « L’autorité d’Alexandre était assez forte pour s’exercer utilement et longtemps encore dans un pays désorganisé et pour y rétablir l’ordre. Il est fâcheux qu’au lendemain d’une restauration victorieuse, le découragement se soit emparé de lui. Sûrement, il serait rappelé si le pays pouvait se prononcer librement. Mais ce n’est pas à souhaiter, car ce serait alors le conflit avec la Russie, et les conséquences pourraient en être graves. » Il fallait donc se résigner au fait accompli, et le premier ministre autrichien, le comte Kalnocky, invitait formellement son agent à Sofia à soutenir le gouvernement que le prince Alexandre avait institué avant son départ. « Il faut songer à l’avenir, écrivait-il. Toute combinaison destinée à l’assurer devra reposer sur le traité de Berlin. Mais j’estime que l’Europe fera bien de ne pas intervenir et de laisser les événemens suivre leur cours et les partis livrés à eux-mêmes. »

L’attitude de la Turquie restait louche. On s’étonnait qu’en sa qualité de suzeraine de la Bulgarie, elle n’intervint pas et parût s’être désintéressée de l’événement, en se bornant à laisser entendre qu’elle ne souhaitait pas que le Sobranié se pressât d’élire un nouveau prince. N’avait-elle pas tout à gagner à la