Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 36.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quittait le château d’Ebenthal et se mettait en route pour la Bulgarie. Un blâme général salua son départ. Un journal, organe officieux de la cour de Vienne, disait dédaigneusement : « Nous assistons à une aventure privée qui ne regarde que le prince de Saxe-Cobourg-Gotha. » On lit dans un autre : « Il se rend à Sofia par sa volonté, à ses propres risques, sans aucun encouragement des Puissances et sans la consécration de la Porte. Il agit en contradiction avec le traité de Berlin et son entreprise est bien hasardée. »

Le mécontentement de François-Joseph se manifesta autrement que par des paroles. Un grand seigneur hongrois, que Ferdinand voulait emmener avec lui, se vit refuser par l’Empereur l’autorisation de partir qu’il avait cru devoir solliciter. Plusieurs jeunes officiers qui suivaient son exemple furent arrêtés à la frontière et renvoyés dans leur garnison. Mais ce désaveu n’était qu’une façade. Au fond, l’Autriche était enchantée d’avoir un homme à elle sur le trône bulgare. Bientôt, tout en affectant de ne pas sortir de la ligue des Puissances, elle le soutiendra sous-main et s’efforcera de débarrasser de tous les obstacles la route sur laquelle il s’est engagé. Un diplomate originaire de Hongrie, encore peu connu dans les chancelleries, mais dont, au Ballplatz, on apprécie l’habileté et qui devait, à la veille de la guerre actuelle, jouer dans son pays un rôle néfaste, le baron de Burian, est envoyé à Sofia muni d’instructions qui sont plutôt favorables au prince. Quant à Bismarck, il continue à feindre l’indifférence et à déclarer que les trois empereurs étant d’accord, la paix dans les Balkans ne sera pas troublée. Il invite l’agent d’Allemagne à Sofia à traiter le prince Ferdinand « comme un lieutenant autrichien en voyage. »

Le discrédit dont le prince est ainsi frappé prend un caractère uniforme et définitif, dès qu’on le sait en chemin. Le 18 août, les agens étrangers en Bulgarie et en Roumélie orientale reçoivent l’ordre de ne pas aller le saluer, de n’avoir avec lui ni relations officielles, ni relations officieuses et de ne voir ses ministres que pour les affaires urgentes. Ils devront refuser toutes les invitations et s’abstenir de toutes visites. L’agent français est même autorisé à prendre un congé illimité, s’il le juge nécessaire ; il devra seulement déclarer aux ministres qu’il les rend responsables des dommages qui seraient en son absence causés à nos nationaux. En définitive, si le prince entre en