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Mais ce n’était pas tout d’avoir conquis une couronne, il fallait maintenant la conserver, non seulement la conserver, mais y ajouter de nouveaux fleurons. Peut-être appelait-il le jour où il pourrait la transformer en un diadème impérial. N’avait-il pas déjà confié à sa mère que ses ambitions ne seraient satisfaites que lorsqu’il aurait été sacré à Sainte-Sophie de Constantinople, empereur d’Orient ? Toutefois, cette perspective dont, un peu plus tard, il devait faire la confidence à son oncle le duc d’Aumale, n’était qu’un rêve, un rêve qui ne pouvait devenir une réalité qu’avec le temps, alors que la réalité qui s’imposait immédiatement à lui le mettait aux prises avec les difficultés du gouvernement et avec la nécessité de les résoudre.

Elles étaient nombreuses et lourdes. Un pays déchiré par les factions, une population sans expérience de la politique, composée de moutons de Panurge, jouet de quelques hommes, qui se disputent le pouvoir au nom de doctrines vagues et confuses faites pour entretenir le désordre matériel et moral, chefs sans soldats qui, pour se former une armée parmi cette foule l’ont asservie et exploitent sans vergogne son ignorance et sa crédulité ; ce pays, toujours menacé par l’ingérence étrangère, divisé en plusieurs partis sans qu’aucun d’eux puisse se flatter de posséder une majorité, ni même le pouvoir de vaincre l’anarchie qui, sous la régence, a fait de tous côtés de rapides progrès, tel est en résumé le tableau des écueils à travers lesquels le prince Ferdinand devra naviguer.

Mais ce qui est plus grave, c’est que, pour se diriger sur cette mer qui lui est encore inconnue, il a besoin d’un pilote, lequel ne peut être que ce Stamboulof, l’homme auquel il doit la couronne et qui, devenu, depuis le départ du prince Alexandre, le maître tout-puissant de la Bulgarie, y gouverne en dictateur. Investi de la confiance de Ferdinand, que celui-ci ne saurait lui refuser sous peine de s’en faire un ennemi mortel, Stamboulof, en cas de dissentiment avec le prince sur une question grave, voudra-t-il incliner son pouvoir, et, s’il s’y refuse, si néanmoins le prince persiste, ne sera-ce pas le conflit, un conflit dont personne ne saurait prévoir les suites ?

Cette question, Ferdinand avait dû se la poser dès ses premiers entretiens avec Stamboulof, lorsque, après avoir reçu la démission de la régence, il eut à conférer avec lui en vue de la