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Au moment où il quittait Munich, le bruit se répandit que c’était sur un ordre venu de Berlin par lequel on lui signifiait qu’on ne lui permettrait pas d’épouser une princesse allemande. L’exactitude de cette information n’a pu être établie. Si elle l’était, on y pourrait voir la preuve qu’à Berlin on avait eu à cœur de ne pas froisser la Russie en facilitant l’entrée de Ferdinand dans une famille régnante.

On sait que, le 20 avril 1893, il épousait à la villa Pianore, résidence de la famille de Bourbon-Parme, dans la province de Lucques, la femme qu’il s’était choisie. Cette princesse, morte prématurément après six années d’union, au cours desquelles le foyer conjugal fut embelli par quatre berceaux, n’a fait que traverser l’histoire de la Bulgarie. Mais elle y a tracé un sillon lumineux qui reste encore tout embaumé du parfum de sa grâce et de son charme. Elle a trop peu vécu pour être mêlée à ceux des événemens du règne de son mari où il a donné toute sa mesure et trompé les espérances de ses thuriféraires, qui s’étaient trop pressés de voir en lui un être de sagesse, de droiture et de loyauté. Toutefois, si l’on veut se rappeler que le trépas de cette noble créature a été attribué au désespoir indigné dont elle fut saisie en apprenant que Ferdinand, pour conserver sa couronne, s’était prêté à l’abjuration de son fils aîné, bien qu’en se mariant et d’accord avec Stamboulof il se fût engagé à faire élever ses enfans dans la religion catholique, on inclinera à penser qu’elle est descendue dans la tombe avec le pressentiment des trahisons dont ultérieurement il s’est rendu coupable et qui l’ont voué à la flétrissure du présent et de l’avenir.


ERNEST DAUDET.