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repas chauds, la ponctualité mathématique de leur voyage jusqu’à la frontière, le fonctionnement impeccable de l’énorme machine militaire dont ils représentent les rouages, tous ces indices d’une puissante préparation à la guerre leur arrachent cette exclamation : « Alles klappt tadellos, tout marche comme sur des roulettes ! »

Certains résultats obtenus leur paraissent tenir du prodige, et Gottberg note comme un « miracle d’organisation » la réunion à Faulquemont en Lorraine de trois détachemens venus des régions les plus reculées de l’Empire et qui ; à peine rassemblés, se soudent sous une direction commune, se fondent en un organisme homogène et forment une division de réserve prête aussitôt au combat[1]. L’exagération même de ces louanges trahit l’erreur psychologique que l’on découvre au fond de tous les jugemens de l’Allemand moderne. Habitué à se considérer comme le centre du monde, il regarde volontiers comme uniques, inimitables et sans précédens les progrès qu’il a pu y réaliser. Cet état d’esprit trouve son expression la plus naïve dans la réflexion qu’inspire à Ganghofer la visite d’un hôpital de campagne, propre et bien installé : « Je ne sais ce qu’est ce service dans les armées adverses ; mais nulle part il ne peut fonctionner comme chez nous. »

Cette manière de concevoir les choses devait avoir pour résultat et pour avantage une confiance illimitée et inébranlable, mais aussi présomptueuse et irraisonnée, dans l’issue finale de la lutte. Telle est en effet l’impression dominante, au moins au début, dans les hautes sphères militaires. Quand le général de Moser part en campagne, les officiers de sa brigade sont unanimement persuadés qu’ « à la guerre mondiale, l’Allemagne ne fera qu’une réponse : victoire mondiale. » Plus tard, après les premiers succès, lorsque Sven Hedin parcourt les différens Etats-majors d’armée, il retrouve dans tous la même conviction et entend partout le même mot d’ordre : « Nous devons vaincre, quand même le monde entier serait contre nous[2] ! » Affirmations peut-être sincères dans le fond, mais en partie intéressées, puisqu’elles s’adressaient à un neutre bienveillant, dont le premier soin serait de les propager en Europe.

Chez les hommes de trouve, la même certitude de la

  1. Thümmler, III, p. 5 ; Gottberg, p. 22.
  2. Von Moser, p. 4 ; Sven Hedin, pp. 103, 389, 393, 400, 419 ; Ganghofer, p. 192.