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dans les sentimens des habitans envers ses compatriotes, et il l’attribue à l’influence des femmes, satisfaites désormais de voir leurs maris apprendre des officiers allemands non pas seulement à leur céder la place dans les tramways, mais à claquer les talons en se présentant à elles[1]. On ne les aurait pas crues si négligées jusqu’alors, ni si accessibles au prestige de ces façons de cirque.

Après la politesse, il ne resterait plus aux soldats de Guillaume II qu’à apporter la moralité aux populations envahies. L’orgueil allemand n’a pas reculé devant le ridicule de cette prétention. Il a trouvé cette fois pour interprète l’ineffable Hans Bartsch, qui la justifie par un bien singulier exemple. D’après cet écrivain, le premier acte du général von Bissing, gouverneur général de la Belgique, aurait été de porter sa sollicitude sur… les trottoirs, dont les séductions n’avaient pas laissé ses soldats insensibles et dont les habituées semblaient soustraites à toutes les obligations d’une exacte police sanitaire. Il les fait aussitôt arrêter et confier aux soins de la Croix-Rouge allemande : les docteurs soignent leurs infirmités, tandis que le personnel féminin s’occupe de leur âme. Touchant spectacle de « bon ordre allemand » (deutsche Ordnung) auquel Bartsch prétend n’avoir pas assisté sans émotion : « Si ce sujet est scabreux, conclut-il avec un bonheur d’expression qu’il faut lui laisser, j’y ai touché néanmoins, car je pense que des milliers de femmes allemandes ont le droit d’être sûres que, si leurs maris n’ont pu se préserver de certaines faiblesses, du moins les mesures les plus sages et les plus énergiques ont été prises pour leur en épargner les suites[2]. » Cette phrase, qu’il serait fâcheux de laisser perdre, semble caractériser à merveille le mélange de pharisaïsme et de suffisance qui forme le fond de l’âme allemande, comme le grossier matérialisme dont sont empreintes toutes les conceptions et toutes les conquêtes de la kultur.


III

L’étrange idée que les témoins allemands de la guerre ont voulu nous en donner ne semblerait pas complète, si l’on ne

  1. Gottberg, p. 84.
  2. Bartsch, pp. 209, 211.