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non plus ne s’y prend au tragique, ou seulement au sérieux. La noble voyageuse autrichienne exprime pourtant, à notre endroit, certaines craintes personnelles, mais imaginaires :


Les Français, chacun me l’assure,
Sont une troupe de brigands.
Pour peu qu’on ait de la figure,
Ils deviennent entreprenans.
Aussi je frémis quand j’y pense ;
Mon sort, je le connais trop bien !
La beauté, les mœurs, l’innocence,
Ces gens-là ne respectent rien.


Elle nous calomnie, la marquise, au moins en paroles. Et la musique le sait bien. Elle proteste, la musique, elle nous justifie. Elle n’est pas dupe, elle l’est encore moins que la « poésie, » qui déjà ne l’est guère. Au surplus, le brave sergent Sulpice achève de rassurer les populations : « Fais-moi le plaisir de dire à tous ces trembleurs-là qu’ils peuvent montrer leurs oreilles. Nous venons mettre la paix partout… protéger les hommes quand ils vont au pas et les femmes quand elles sont jolies. » Et voilà dans quels termes, en 1840, l’opéra-comique rendait hommage à l’idéal des guerres de l’Empire, messagères et dispensatrices, par toute l’Europe, de l’ordre et de la tranquillité.

Autre tableau d’invasion, voire de réquisition, toujours sans violence. L’action du Chalet ne se passe pas, comme celle de la Fille du Régiment, dans le Tyrol, mais en Suisse. Max et ses camarades sont des soldats suisses, mercenaires autrichiens, qui rentrent dans leurs foyers. Mais en musique, ou par la musique, ce sont bien des Français. Petite, oh ! très petite musique que celle-là, démodée et falote, parfois risible, mais parfois rieuse et spirituelle aussi. Le duo du Chalet, le « grand duo, » comme on l’appelait sur les programmes, entre Max le batailleur et le peureux Daniel, des artistes de l’Opéra-Comique, et qui se nommaient, s’il vous plaît, Capoul et Gailhard, venaient nous chanter cela aux concerts de Louis-le-Grand, « du temps que j’étais écolier. » Et cela nous donnait une fière idée des militaires et de leur supériorité sur les civils. Alors aussi les fameux couplets, fameux autrefois : « Dans le service de l’Autriche, Le militaire n’est pas riche, » et leur refrain, plus populaire encore : « Vive le vin, l’amour et le tabac ! » nous paraissaient résumer, sur le mode lyrique, le caractère,