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intéressée. » Aussi ne manqua-t-elle pas de faire un crime, — et de lèse-patrie, — au musicien, d’avoir mis en morceaux, pour plaire aux Parisiens, son œuvre la plus nationale. « L’Étoile du Nord est un enfant qui coûta la vie à sa mère. » (Hanslick.)

La vie dont l’œuvre même est animée, au second acte (l’acte militaire), est plus extérieure que profonde. Elle a quelque chose aussi de factice et de mécanique. Elle s’exprime en une série d’épisodes où se sentent moins le naturel et l’inspiration, que l’artifice, la recherche et l’effort. La cavalerie, l’infanterie, chacune des deux armes célèbre à son tour son mérite respectif, en des chansons où l’ineptie des paroles n’est pas rachetée par une musique à peine plus spirituelle, pesante, et qu’alourdissent encore les rrrr, les trrrr et autres insipides onomatopées. Il y a plus d’agrément et d’ingéniosité dans les couplets alternés, en forme d’assaut, des deux vivandières. Aussi bien, « le vin » et « les belles, » la scène d’ivresse et la scène d’amour, également obligatoires, ne manquent pas à cette succession classique de tableaux militaires. Le meilleur est le dernier, qui représente les soldats russes, mutinés un instant, mais bientôt soumis par le Tsar, apparu et reconnu soudain. Complexe, ou composite, formé de plusieurs thèmes qui d’abord se succèdent, pour s’étager ensuite et se fondre, le finale du second acte de l’Étoile du Nord est l’un des exemplaires mémorables de ces architectures, ou peut-être seulement de ces échafaudages sonores, que Meyerbeer excellait à construire et à colorier. Il se peut que la grandeur en soit plus apparente que réelle ; de tels moyens et de semblables effets n’en possèdent pas moins une incontestable grandeur. Quant à la transposition, ou à la naturalisation du sujet, si les Allemands s’en offensèrent autrefois, ce serait plutôt aux Russes aujourd’hui de s’en plaindre, et à nous-mêmes, avec eux et pour eux. Nous ne saurions plus voir, sur la scène française, nos alliés défiler aux sons de la fameuse marche de Dessau, cette marche, dit Hanslick, « dont la mélodie et la signification est familière au moindre gamin allemand. » Un de ces gamins-là, qui s’appelait Henri Heine, la comprit jadis à sa manière. Certain Français, le tambour Legrand, lui en avait appris le rythme et le sens. « J’ignorais le mot sottise. Il jouait la marche de Dessau et je comprenais. » Cela, nous le comprenons aussi bien qu’Henri Heine. Mais nous savons, hélas !