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demain le salut de nos vétérans à nos jeunes vainqueurs, et l’étreinte des amis, des parens, et, qui sait ! peut-être l’infidélité de quelques amantes. Boieldieu n’a pas négligé même ce dernier trait ; mais il l’a noté, ou plutôt jeté, celui-là aussi, à la légère et gaiement, comme si, d’être un soldat oublié par son amoureuse, cela ne pouvait en somme gâter le plaisir français par excellence, plaisir que la musique française ne chanta jamais avec plus de vivacité, d’esprit et de bonne humeur : le « plaisir d’être soldat. »

L’officier de marine n’eut pas d’abord à se louer de la musique autant que l’officier de terre. Sans parler ou reparler d’Haydée, s’il y a des choses agréables, spirituelles ou sentimentales, dans l’Éclair, d’Halévy, ce ne sont pas les choses militaires. Imité de l’air du sous-lieutenant d’infanterie George Brown, l’air du lieutenant de vaisseau Lionel en reproduit seulement la formule, ou la lettre, dans un style dont l’emphase n’a d’égale que la platitude et la vulgarité.

L’acte naval, ou marin, de l’Africaine, en est aussi le plus médiocre. Image de la vie à bord et, s’il vous plait, à bord d’un navire amiral, il en est une image dépourvue de caractère et de poésie. Le plus meyerbeerien des critiques de Meyerbeer assure, il est vrai, qu’au début de cet acte, avant que le rideau ne se lève, « l’Océan, de loin, s’annonce au voyageur. Vous ne l’apercevez pas encore, que déjà l’air salé, certaines rumeurs vagues, trahissent son approche. » Cela nous parait seulement dénoter une rare autant qu’enviable finesse de l’ouïe, du goût et de l’odorat, chez Blaze de Bury, notre prédécesseur.

Une œuvre moindre que l’Africaine, et de beaucoup plus récente, Madame Chrysanthème, de M. Messager, nous donnerait peut-être des sensations analogues, et d’autres encore. Le navire où se passe la première scène n’a rien de commun avec celui d’Haydée ou celui de l’Africaine. Il porte, au lieu d’un amiral vénitien ou portugais, un officier de notre marine, très vivant aujourd’hui, que dis-je ! immortel, et qui garde ici, même en musique, la moitié de son pseudonyme glorieux. A côté de Pierre, sur la passerelle, Yves, son frère, est debout. Nous les connaissons l’un et l’autre, et les reconnaissons. Ils n’ont rien d’imaginaire, ils sont bien de notre temps et de notre pays. Ils parlent de la Bretagne qu’ils viennent de quitter et de l’Orient vers lequel ils voguent. A la vérité de leurs propos, à