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différentes spéculations, la rogue, qui est fournie par la Norvège, était devenue hors de prix, les Allemands peu raffinés en la matière s’en servant pour leur alimentation personnelle. Les gouvernemens anglais et français ont dû monopoliser les stocks à des prix qui étaient inabordables, et la marine rétrocède à perte ce produit aux pêcheurs à raison de 0 fr. 85, rendu au port de consommation, quel qu’il soit. C’est encore un chiffre élevé, puisque la rogue ne valait guère plus de 0 fr. 50 le kilo en moyenne avant la guerre.

Nous n’avons envisagé jusqu’ici que les pêches spéciales se pratiquant à des époques fixes et sur un terrain bien déterminé ; mais qu’est devenue la pêche du poisson frais, celle qui approvisionne journellement nos marchés ? Depuis quelques années, les chalutiers à vapeur tendaient à accaparer la production ; leur rayon d’action leur permettait de s’étendre dans le Nord jusqu’à la grande sole, et dans le Sud de pousser à la hauteur des côtes du Maroc et même de la Mauritanie. C’étaient ces chalutiers, dont le nombre dépassait 200 unités au moment de la déclaration de guerre, qui expédiaient presque toute la marée sur nos grandes villes et sur l’étranger. Les chalutiers à voile, cependant, n’avaient pas perdu leur raison d’être, surtout pour la capture du poisson plat. Nous leur sommes redevables de ces belles soles épaisses et de ces turbots charnus qui font les délices des gourmets. Les vapeurs prennent en abondance les merluches, les raies, les grondins ; mais leurs filets, qui draguent brutalement le fond de la mer, passent au-dessus des soles et des turbots tapis dans le sable sans les draguer ; les chalutiers à voiles, dont les procédés sont plus délicats, soulèvent au contraire les poissons plats de leur souille profonde. Qu’il s’agisse de vapeurs ou de voiliers, le relevage du chalut exige beaucoup de force. Ces navires sont donc toujours montés par des équipages jeunes et vigoureux. Dès le mois de décembre 1914, la marine appela presque tous les marins des chalutiers à voiles ; elle fit une exception pour les chalutiers à vapeur, mais ce fut pour réquisitionner le navire lui-même quelques mois après. Il semblait bien que la pêche du poisson frais ne dût pas se relever de cette épreuve. Mais ce serait méconnaître l’énergie des gens de mer que de le supposer. Les armateurs équipèrent d’abord des voiliers avec un personnel de fortune ; puisa prix d’or ils se procurèrent à l’étranger des