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camarade importun. Le Comité de Salut public, en veine d’obligeance, lui étend ses pouvoirs et lui confie le soin d’organiser le gouvernement révolutionnaire dans la Dordogne et dans la Gironde alors dite Bec-d’Ambès. Organiser le gouvernement révolutionnaire est une expression délicieusement vague et dont profitera le proconsul, qui déjà n’était pas discret, pour une petite levée de chevaux. Mais il fallait avoir ses coudées franches : et, Roux-Fazillac éliminé, Romme sera le nouvel ennemi. Plus difficile que l’autre ! Lakanal et Romme étaient naguère deux amis ; Lakanal, à propos de Romme, vantait aux Conventionnels « la bonne foi qu’on trouve chez ceux qui joignent des lumières à la droiture. » Seulement, à peine Romme fut-il installé à Périgueux, Lakanal à Bergerac, Romme et Lakanal se haïrent : Périgueux et Bergerac ne s’aimèrent point. Au mois de floréal an II, Lakanal ne craint pas de réclamer au district de Périgueux des subsistances pour Bergerac : et Romme l’éconduit. Bientôt, Lakanal, bienfaiteur des Bergeracois, leur fera cadeau d’un pont sur la Dordogne. Qui payera le pont ? Le département ! répond Lakanal. Romme, là-dessus, dénonce Lakanal aux habitans de la Dordogne « comme un touche-à-tout brouillon et fantasque, » dit M. Labroue ; et, « attendu que, pour trop faire à la fois, on se met dans l’impossibilité de rien terminer, » il institue des commissaires qui auront pour office de « recueillir soigneusement les réclamations qu’on pourrait élever contre Lakanal. » Romme et Lakanal furent en bisbille incessante. Le 2 fructidor an II, Romme dénonçait Lakanal aux thermidoriens, blâmait toute la politique de cet extravagant personnage. Et, plus tard, quand Lakanal aura peut-être été pour quelque chose dans l’organisation de l’École normale, qu’il appellera « métropole des connaissances humaines, » Romme lui dénigrera son école sous le nom de métropole du charlatanisme organisé.

Les collègues n’étaient pas le seul ennui de Lakanal ; mais il avait encore affaire à la Convention qui, de Paris, donnait des ordres et, promptement, se ravisait. Le 13 brumaire, il offre de fonder à Bergerac une manufacture d’armes. Le 24 brumaire, la Convention décrète l’établissement d’une manufacture d’armes à Bergerac : et Lakanal est chargé de cette création. Mais, le 27 brumaire, elle enjoint à ce même Lakanal de se rendre à l’armée de l’Ouest. Il écrit bonnement : « Je ne sais à quel décret obéir… » Il ajoute, avec un prudent souci de l’obéissance : « Tous deux, sacrés pour moi, me sont parvenus officiellement. Tous deux m’imposent des obligations que je suis également jaloux de remplir, mais que je ne puis concilier. Citoyen