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qu’a duré sa mission dans la Dordogne, combien de semaines un peu calmes a-t-il eues ? « Rien, disait-il, ne me paraît plus bête que les opérations ministérielles ; je les vois tous les jours se froisser et se détruire par le croisement et la confusion des agens et des pouvoirs. » Dans ces conditions fâcheuses, qu’a-t-il fait ? M. Labroue va nous le dire : « Action politique, administrative et judiciaire, instruction publique sous ses formes les plus variées, fêtes, subsistances, levée de chevaux pour les armées, fournitures de bois pour la marine, taxes révolutionnaires, réfection des routes, navigation des rivières, travaux d’art, tels furent, durant les dix mois de mission de Lakanal, les objets principaux de sa hardie et heureuse initiative, tel fut le bilan de sa débordante et féconde activité. » C’est bien ! Ne dénigrons pas l’œuvre de Lakanal. Le 25 floréal an II, il écrivait : « Des fusils ! des fusils ! Voilà le cri inextinguible de la France en révolution. » Le 15 messidor, il rendait compte à la Convention des résultats qu’il attendait de sa manufacture bergeracoise ; il annonçait quinze mille fusils par an, vingt-cinq mille bientôt. Provisoirement, il en pouvait livrer cent et concluait : « Vive la République ! Elle seule peut enfanter des prodiges incroyables pour les infortunés courbés encore sous la verge des rois. Et ces prodiges-là valent bien les miracles des prêtres ! » Après la révolution de thermidor, il déclara qu’il était prêt à se servir de tous ses fusils pour abattre les partisans de Robespierre. Les Bergeracois reconnaissans l’appelaient un Orphée, parce qu’il avait, au moyen de son dévouement plus efficace que la lyre de ce chanteur, assemblé « en quelques momens » les pierres de la manufacture. Ladite manufacture a-t-elle enfin produit beaucoup de fusils ? Elle offrait « de belles espérances, » mais elle « avait besoin d’une forte impulsion, » — dit Pellissier, successeur de Lakanal, — lorsque Lakanal s’en retira. Nous ne savons pas trop, même après avoir lu M. Labroue, ce qu’elle donna : elle était « en pleine prospérité » dans les derniers temps de la Convention ; sous le Directoire, elle périclite ; elle est supprimée le 20 pluviôse an V. M. Labroue constate que la plupart des créations de Lakanal durèrent assez peu : mais il le félicite d’avoir « donné aux Périgourdins une leçon de choses civique et sociale. »

Le jour que Lakanal partait pour la Dordogne, Danton l’exhorta. Et : « Tape dur ! » lui disait-il. A Bergerac, en séance du conseil général de la commune, l’agent national, un nommé Boissière, célèbre ainsi le représentant : « Lakanal, cet homme chéri, notre ami, notre père, dont les vertus sublimes et le patriotisme égalent