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Avec une patience égale à la nôtre, par-dessus les obstacles que dresse devant eux la plus âpre nature servie par l’art le plus retors, dans les hautes solitudes des Alpes ou sur le plateau creusé et bossue du Carso, pareil, — c’est la comparaison courante, — à « une énorme pierre ponce, » nos alliés italiens mènent glorieusement la lutte. L’heure est passée où François-Joseph, sentant se réveiller en lui les anciennes rancunes de 1848 et de 1859, vieil empereur encore tout meurtri des blessures du jeune prince, put croire que ses aigles, promenées par son héritier et les archiducs ses cousins, allaient, après soixante ans, rentrer triomphantes dans les villes vénitiennes et lombardes. La route leur fut vite fermée, à une petite distance de leurs aires. A peine l’Autriche mordit-elle, et pour peu de temps, dans la terre italienne. Elle se vit arrêtée net, et presque aussitôt nos amis reprirent leur marche vers leur double objectif, vers le but, fatal, à leurs yeux, de leur politique, immédiate, Trente et Trieste. Du côté de Trente, leurs plus récens progrès les ont ramenés non loin de Rovereto, où ils ont enlevé, à plus de 2 000 mètres d’altitude, la dent du Pasubio. Du côté de Trieste, ils ont, le 10 octobre et les jours suivans, fait craquer la première ligne autrichienne, de San-Pietro, un peu au Sud-Est de Gorizia, à Vertoiba, puis à Villanova et à la cote 208, un peu à l’Est de Doberdo, pour regagner enfin, par une courbe, le renflement, le massif de l’Hermada, qui domine, au bord de l’Adriatique, le chemin de fer côtier. Ils ont fait là de six à huit mille prisonniers : ce ne fut donc pas une escarmouche. Le « rétablissement » opéré par le général Cadorna, au mois de juin et au mois de juillet, de l’Adige à la Brenta, souleva une admiration légitime. L’expédition accessoire en Albanie méridionale ou en Epire septentrionale, fait apparaître la même netteté de vue, la même clarté d’esprit militaire et politique. On sent une pensée, un dessein. De jour en jour et d’étape en étape, les colonnes italiennes, parties de Santi-Quaranta, se rapprochent des colonnes alliées qui manœuvrent sur la rive du lac de Prespa, et par lesquelles le front d’Orient se soudera en une seule barre de la mer Egée à l’Adriatique ; déjà les reconnaissances des deux cavaleries ont pris le contact. Dans la vallée de la Cerna, les Serbes se sont avancés jusqu’à Brod, après avoir repoussé de nombreuses et violentes contre-attaques d’un ennemi qui paraît avoir reçu des auxiliaires. Russes et Français, à l’extrémité de la ligne vers l’Ouest, Français et Italiens autour du lac de Doiran, au pied des monts Bélès, Anglais à l’Est, sur la Strouma, échangent avec les Bulgares germanisés de