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Hermannstadt, Falkenhayn est entré en territoire roumain, par quelques pas mal assurés, jusqu’au mont Robu, d’où il a été rejeté, quitte à revenir à la charge, avec plus de chance ; et par le défilé de Torzburg, au Sud-Ouest de Brasso ou Kronstadt, il a poussé, dans la vallée de la Dambovitza, jusqu’à Rucaru et Dragoslavele, où l’on se battait ces jours ci. Néanmoins, il n’avançait pas ou n’avançait qu’avec beaucoup de peine et de lenteur, et l’on penchait à croire qu’en général, sur le front de Transylvanie, après le recul des Roumains, après leur retraite en deçà de leur frontière, la situation était pour le moment fixée : le front, disait-on, « a cristallisé. » Mais voici qu’immédiatement au-dessous de Brasso, les Austro-Allemands ont réussi à s’emparer de Prédéal et à se glisser ainsi dans la vallée de la Prahova, que suit la ligne de chemin de fer la plus directe qui relie ensemble Bucarest et Sinaïa, ces deux pôles de la vie roumaine dans la molle douceur des saisons paisibles. C’est certainement un accident fâcheux, dont le bruit retentira et se répercutera d’autant plus que les lieux et les noms des lieux sont plus familiers, associés à de plus agréables souvenirs ; mais qu’il faut se défendre de prendre trop au noir, et qui peut n’être qu’un accident. Prédéal, il est vrai, est la première station, l’amorce roumaine du chemin de fer de Sinaïa à Bucarest ; mais ce n’est pas Bucarest, et ce n’est même pas Sinaïa, qui en est à une vingtaine de kilomètres ; et au-dessous de Sinaïa, il y a encore une quarantaine de kilomètres avant de déboucher dans la plaine, juste aux environs de Ploiesci (ou, Plœchti) où la ligne de la Prahova s’embranche à la grande ligne de Moldavie, véhicule de la puissance russe.

Tout dépend de ce que Falkenhayn, s’il a les moyens de s’enfoncer et de pénétrer jusque-là, — et en mettant, pour les Alliés, les choses au pis, quoique le dernier mot ni même le mot le plus fort ne soient pas dits, — trouvera devant lui lorsqu’il débouchera dans la plaine ; écrivons plutôt, au conditionnel : de ce qu’il trouverait, lorsqu’il déboucherait. Nous avons de bonnes raisons de penser que ce qu’il y trouverait, il ne l’écarterait pas ou ne s’en débarrasserait pas aisément, avec ce que nous avons de non moins bonnes raisons de penser qu’il possède de ressources et de réserves. C’est une question de tout temps débattue par les politiques qui se sont piqués de stratégie, c’est pour eux une question classique que de savoir si les passages par où l’ennemi peut venir doivent être défendus sur place, dans ces passages mêmes. Il y a, là-dessus, une page fameuse, qui, bien qu’elle date de quatre siècles, s’appliquerait à merveille au cas de la Roumanie. « Ceux-là, enseigne Machiavel, au Livre premier du Discours sur les Décades,