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au-delà de la frontière. Lorsque l’armée des archiducs, appuyée par une artillerie écrasante, l’eut contraint à se retirer, il ne s’attarda pas à lui disputer les passages, ou ne les lui disputa que pour lui faire payer ses progrès, les ralentir, et s’assurer le délai dont il avait besoin. Il rompit franchement de plusieurs kilomètres, et, tout en rompant, regroupa ses divisions, les amena sur les positions les mieux choisies et aménagées pour attendre que l’ennemi débouchât de la montagne dans la plaine. Suivant le plan qu’il leur avait tracé, elles déployèrent autour des débouchés un éventail si hérissé de fer, elles les prirent si bien sous la menace de leurs feux croisés, que les Autrichiens ne risquèrent pas l’aventure. Ce fut le principe et la cause de leur échec. En quelques semaines, le territoire national se trouva à peu près libéré. Nulle part, l’ennemi ne put faire un pas de plus. À ce moment-là, pour tout dire, l’offensive de Broussiloff aida heureusement à décongestionner les abords du Trentin; mais, en ce moment même, une aide aussi, et plus prochaine, arrive à la Roumanie. Loin que tout ait été perdu, par l’abandon de la Transylvanie et l’abandon d’un ou deux des passages, rien n’est encore irréparablement ni même très gravement compromis, si les Roumains sont où ils doivent être, secourus en abondance par les Russes, et prêts, sur un terrain qui le leur permettra, à « employer toute leur force quand ils engagent toute leur fortune. » Dans des conditions de lieu qui ne les diviseront, ne les éparpilleront plus, il se peut que les huit, ou les douze, ou même les seize divisions de Falkenhayn, — l’armée austro-hongroise du général von Arz étant retenue ailleurs, — ne débouchent pas plus des Alpes de Transylvanie que les armées de l’archiduc Charles-François-Joseph ne purent déboucher du Trentin.

Tournons-nous à présent vers la Dobroudja. Les Alliés n’y trouveront pas de quoi se réjouir, et ils ne cachent point la déception qu’ils n’éprouvent, mais pas davantage, et bien moins encore, de quoi désespérer. On s’en souvient, après qu’au lendemain de la surprise de Tourtoucaïa et de la reddition de Silistrie, l’Empereur allemand eut télégraphié et fait carillonner « la victoire décisive » de Mackensen, le maréchal, qui s’était avancé jusque sur une ligne Tuzla-Copadiu-Rasova, fut ramené, à une allure qu’il eût voulue plus rythmée et plus calme, presque dans ses lignes de départ. Il n’y eut donc, cette fois du moins, ni décision, ni victoire. Mais Mackensen n’était pas homme à accepter que, par sa faute, Guillaume en eût le démenti. Dès que ses troupes furent remises et reprises en main, dès qu’il eut refait ses cadres et comblé ses vides avec des Bulgares et des Turcs,