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dès qu’il eut reçu la grosse artillerie qui lui manquait, le plus fougueux, malgré son âge, des généraux prussiens s’élança contre la ligne par laquelle, à quinze ou vingt kilomètres en avant, les Russo-Roumains couvraient la voie ferrée de Constantza à Cernavoda, par Medjidia, qui est à moitié route. L’aile gauche des Alliés fléchit la première; puis le centre, puis un peu l’aile droite, dans la direction du Danube, puis de nouveau et définitivement l’aile gauche, près de la mer. Les Bulgaro-Allemands atteignirent le chemin de fer, à sa station la plus méridionale, Murfallar, d’où ils se rabattirent à l’Est sur le grand port, ses docks et ses magasins, riche proie pour leur appétit. Le lundi 23, au matin, Constantza était tombé au pouvoir de Mackensen. Les « radios » et agences germaniques ou progermaines s’empressèrent de l’annoncer; mais, chose extraordinaire, cette victoire, pourtant réelle, si elle n’est pas décisive, n’eut pas l’honneur d’un télégramme impérial. Guillaume II, échaudé ou refroidi, serait-il devenu moins imprudent ? Tout arrive, même ce qui semblait ne devoir ou ne pouvoir jamais arriver. Sur les projets ultérieurs de Mackensen, sur l’objet essentiel ou principal de ses opérations déjà passées ou en cours, on ne sait encore, au moins nous ne savons rien de précis.

Nous n’en savons pas beaucoup plus sur le parti auquel s’arrêteront et le plan qu’auront adopté nos alliés. Mais il n’est pas interdit de supposer que, si Mackensen eût résolu de passer le Danube à Cernavoda, ce serait déjà fait, et qu’il n’eût pas tant différé, pour être sûr de pouvoir le passer sur un pont, faute de quoi il serait exposé à ne point le passer du tout. L’eût-il franchi, eût-il trouvé le pont intact, qu’il irait peut-être, si les viaducs ont été coupés et les chaussées détruites, s’enlizer dans la bordure de marais qui sextuple la largeur du Danube et qui n’est ni la terre ni l’eau. En fût-il sorti, qu’il serait toujours à plus de cent cinquante kilomètres de Bucarest. La jonction avec Falkenhayn se fait plus aisément en imagination que dans la réalité. Mais Mackensen veut-il la faire, et que veut-il faire ? Veut-il construire par le Sud la deuxième branche de l’étau à broyer la Roumanie, que Falkenhayn forge par le Nord ? Veut-il acculer les Russo-Roumains dans le coude, dans l’angle aigu formé par le Danube, de Galalz à ses multiples bouches, les adosser à une nappe infranchissable, les y chambrer, afin de les prendre, comme à ce jeu de dames où le pion, poussé dans le coin, ne peut plus bouger ? Mais le terrain n’est pas uni comme un damier; il va montant de 100 à 300 mètres; dominé de là-haut, c’est le maréchal lui-même qui pourrait être longtemps immobilisé ; et, au surplus, les Russes ont jeté des ponts vers