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Reni. A-t-il voulu tout simplement, ainsi qu’il l’aurait déclaré, en se retranchant au point le plus étranglé du quadrilatère, garantir la Bulgarie d’une attaque par la Dobroudja, et s’attacher sa fidélité, toujours équivoque ou avide, en lui jetant incontinent un bon morceau ? Mais alors, que ferait-il, avec les Bulgares aux dents aiguisées ? Dessinerait-il de loin, et malgré toutes les barrières interposées, une menace contre Odessa ? Ou bien se retournerait-il contre l’armée de Salonique ? Ou bien serait-il venu, non pas uniquement, mais surtout, comme Falkenhayn, pour les pétroles et les blés ? La grande expédition de Roumanie ne serait-elle qu’un Beutezug, une chevauchée pour le butin, une razzia, destinée à apaiser moins la révolte de la conscience allemande contre une défection que la révolte de l’estomac allemand contre la faim ? Mais ici toutes les hypothèses sont vaines ; il n’y a qu’à attendre la suite des événemens.

Vaines aussi seraient les controverses, les discussions et les récriminations, s’il pouvait s’en élever. Que la Roumanie ait bien ou mal fait de porter son premier, son principal effort vers la Transylvanie, au lieu de le porter vers la Dobroudja ; qu’elle l’ait elle-même voulu, qu’on le lui ait conseillé, ou qu’on lui ait conseillé le contraire, mais pas assez énergiquement, il n’importe plus, à cette heure où rien ne peut plus faire que ce n’ait été fait. La philosophie de l’histoire, mais d’abord la philosophie politique, qui doit aller au plus pressé, n’en retiendra qu’une constatation et n’en tirera qu’une conclusion. C’est que la formule : « l’unité d’action sur l’unité de front » est une belle formule, mais qu’elle n’aura pas d’âme, tant qu’on ne lui aura pas donné de corps. Une véritable et formelle unité d’action sur un front de plusieurs milliers de kilomètres, l’unité même de ce front dont les divers secteurs sont séparés l’un de l’autre par d’assez grandes distances, nous ne savons pas si elle est pratiquement possible. Mais l’accord ou la concordance est indispensable. L’Entente, heureusement, ne manque ni d’effectifs, ni de réserves ; son matériel se développe chaque jour et se perfectionne ; son crédit demeure solide ; sa vie économique n’est pas sérieusement ou du moins pas dangereusement troublée. Quelque chose pourtant lui manque encore, qui lui a manqué depuis deux ans, et c’est un organe de coordination. Nous crûmes que nous allions l’avoir quand nous vîmes la photographie, de tant de ministres groupés en faisceau au sortir de la Conférence de Paris, et que cette image était un symbole. Il nous le faut de toute nécessité. Il nous faut un commandement et un gouvernement. Osons dire qu’il faut à l’Entente un commandement des commandemens; au