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traiter. Mais tous ceux qui manifesteront la volonté de traiter ne seront pas nécessairement admis.

Dès cette heure préliminaire, un débat s’ouvrira certainement devant la conscience des gouvernemens et des peuples, à savoir si les vainqueurs consentiront à traiter avec les auteurs plus particulièrement responsables de la guerre.

Il y a, sur ce point, une question de principe et une question de fait. La question de principe est en partie résolue par ce qui vient d’être exposé au sujet des États souverains en Allemagne. Si les Puissances reconnaissent comme un état de souveraineté la situation de la Bavière, de la Saxe, etc., il s’ensuit logiquement qu’elles ne traiteront pas avec l’Empereur allemand en tant qu’Empereur ; car l’Empire allemand actuel n’a aucune existence dans le droit actuel européen, et cela de par la volonté de ses fondateurs.

La fondation de l’Empire allemand n’est pas le résultat d’une délibération entre les Puissances ; il n’a pas été l’objet d’une reconnaissance légitime et libre de la part de l’Europe ; cette fondation résulte d’un pacte de politique intérieure entre certains gouvernemens allemands. Aux yeux des Puissances, ce pacte est res inter alios acta. Il convient de fixer ce point d’histoire, car on peut dire que toute l’évolution de l’Europe depuis un demi-siècle, et probablement sa forme dans l’avenir, en dépendent.

La grande crainte de Bismarck, en 1871, c’était d’être obligé de soumettre ses conceptions politiques à un Congrès européen. Il ne voulait pas qu’on lui rognât les bénéfices de la victoire ; il tenait à couper et tailler dans la chair vive des peuples selon sa fantaisie et sa volonté de vainqueur. Mais il ne s’apercevait pas qu’en procédant ainsi, il enlevait à son œuvre la seule base internationale solide, à savoir l’assentiment des Puissances et la sanction du droit. Juste revers des choses d’ici-bas : cet homme, qui faisait fi du droit, n’a pas prévu que si la force venait à manquer, son œuvre n’aurait même plus l’asile du droit. En fondant l’Empire allemand comme une chose uniquement allemande, il se débarrassait de certaines difficultés diplomatiques, mais aussi il renonçait à la stabilité du consentement universel : il faisait, volontairement, œuvre précaire. En fait, il n’y a pas de droit de l’Empire allemand dans le droit européen. Les Puissances ne doivent avoir aucun