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scrupule à ignorer ce qui s’est fait, de parti pris, en dehors d’elles.

Cette méfiance à l’égard de tout congrès ou débat en commun, Bismarck la portait si loin qu’il se décida aussi, après réflexion, à ne pas recourir à une délibération quelconque, même allemande, au sujet de la fondation de l’Empire allemand. C’est, à ce qu’il semble, sous l’influence de Delbrück, qu’il prit ce parti, après avoir été d’un avis contraire : « Le 5 septembre, Delbrück recevait un télégramme qui l’invitait à se rendre au quartier général à Reims, aussitôt après son retour de Dresde. Le chancelier voulait chercher avec lui un prétexte pour convoquer le Parlement douanier, dont on devait faire valoir l’importance, conjointement avec celle du Reichstag, pour la création de l’unité et le rétablissement de la paix. Mais, à Reims, les deux hommes d’Etat se résolurent, le 10, après d’assez longues conférences, à renoncer à l’idée de convoquer le Parlement et à proposer, à Munich, la réunion d’un congrès des princes régnans, projet dont Bismarck s’était déjà entretenu avec le prince royal de Saxe[1]. » Ainsi, Bismarck fut peu à peu amené à ne rechercher d’autre fondement à l’établissement de l’Empire qu’une tractation secrète avec quelques-uns des princes allemands, tractation dans laquelle il les fait « monter » les uns par les autres, et au cours de laquelle il exerce un véritable « chantage » sur les ministres indépendans. La négociation s’amenuisa finalement jusqu’à se réduire à une simple pression exercée par la Prusse victorieuse sur un prince malade et fol, le roi Louis de Bavière. A force de craindre la lumière, on bâcla et on boucla un des actes les plus graves de la politique internationale dans l’ombre d’une alcôve qui allait devenir un cabanon.

De tout cela, il n’y a qu’un témoin que l’on puisse croire, c’est Bismarck lui-même : tout autre paraîtrait suspect. C’est pourquoi il faut le laisser parler :

« La question du rétablissement de l’Empire était alors dans une phase critique et menaçait d’échouer, à cause du silence que gardait la Bavière et de l’aversion que montrait le roi Guillaume. À ce moment, le comte Holnstein se chargea, sur ma prière, de remettre une lettre à son souverain. Pour qu’elle

  1. A. de Ruville, professeur à l’Université de Halle, La Restauration de l’Empire allemand. Le rôle de la Bavière, trad. de M. P. Albin. Alcan, 1911, in-8o, p. 179.