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parvint sans retard, je l’écrivis aussitôt, assis à une table qu’on n’avait pas encore desservie, avec de mauvaise encre et sur du papier qui buvait. J’y développais l’idée suivante : la couronne de Bavière ne pourrait pas, sans blesser le sentiment de l’amour-propre bavarois, accorder au roi de Prusse les droits présidentiels que la Bavière lui avait déjà concédés antérieurement et officieusement. Le roi de Prusse était un voisin du roi de Bavière ; la différence des points de vue des deux peuples rendrait plus vive la critique des concessions que faisait et qu’avait faites la Bavière, et la rivalité entre les nations allemandes en deviendrait plus intense.

« L’autorité de la Prusse, exercée à l’intérieur des frontières bavaroises, était quelque chose de nouveau, qui blesserait les sentimens bavarois. Un Empereur allemand, au contraire, n’était pas un voisin de race différente, mais un compatriote allemand des Bavarois. (On voit le sophisme.) A mon sens, le roi Louis pouvait faire plus décemment les concessions qu’il avait déjà accordées à l’autorité de la présidence, s’il les faisait à un empereur allemand au lieu de les faire à un roi de Prusse. C’étaient là les grandes lignes de mon argumentation. J’y avais joint encore des argumens personnels en rappelant ! a bienveillance particulière que la dynastie bavaroise, du temps où elle gouvernait la marche de Brandebourg, — (je voulais parler de l’empereur Louis), — avait témoignée à mes ancêtres pendant plus d’une génération. (S’il ne s’agissait pas de Bismarck, comment qualifier ait-on un tel manque de tact ? Mais c’est tout l’esprit « hobereau. ») Je jugeai cet argument ad hominem utile avec un souverain ayant la tournure d’esprit du Roi ; mais je crois que l’appréciation politique et dynastique de la différence entre les droits présidentiels allemands et les droits royaux prussiens fut d’un poids décisif.

« Le comte se mit en route pour Hohenschwangau au bout de deux heures, le 27 novembre ; il accomplit son voyage en quatre jours avec de grandes difficultés et de fréquentes interruptions. Le Roi, souffrant d’une névralgie dentaire, était alité. Il refusa d’abord de le recevoir, puis l’admit après avoir appris que le comte venait en mon nom et avec une lettre de moi. Il lut ma lettre dans son lit deux fois et très attentivement, en présence du comte, demanda de quoi écrire et rédigea la lettre au roi Guillaume que je lui avais demandée et dont j’avais