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grande pensée de l’état-major allemand : l’écrasement de toutes les armées françaises sur un point unique par enveloppement.

Le commandement français a percé à jour ce dessein. Il ordonne aux deux armées de se placer l’une à l’égard de l’autre en ordre perpendiculaire, de façon, si l’ennemi s’avance vers la trouée de Charmes, à le prendre comme dans un piège. L’ordre est compris et exécuté à la lettre. Les armées allemandes, dans leur mouvement, convergent vers Rozelieures, sont arrêtées d’abord, puis repoussées non sans pertes énormes ; car elles ne veulent pas s’avouer vaincues ; d’autre part, plus au Nord, la 2e armée leur fait subir de graves échecs en les prenant de flanc. Seule, la fatigue des troupes françaises et une heureuse circonstance qui protège le flanc allemand, empêchent que cet échec ne se transforme en désastre. Mais les résultats tactiques obtenus, le 26 et les jours suivans, démontrent l’intérêt du succès local qui avait, en outre, des conséquences générales si importantes.

La bataille de la trouée de Charmes est une des plus belles pages de la guerre, un des faits les plus considérables de l’histoire. On a surpris un radiogramme allemand rédigé à peu près dans ces termes : « A aucun prix, ne révélez à nos armées de l’Ouest les échecs de nos armées de l’Est. » Le sens profond de la bataille de la trouée de Charmes est dans ce télégramme. Depuis, les efforts de la publicité officielle allemande ont suivi exclusivement cette inspiration et ont tendu constamment à nier les graves échecs du 25 et du 26 ou, tout au moins, à les diminuer.

C’est, qu’en effet, une des clefs de la guerre se trouvait là.

Destruction totale des armées ennemies par enveloppement, manœuvre à la fois sur les deux ailes, le front venant asséner le coup final, telle était la conception géniale qui devait réduire à néant l’armée française : c’est la stratégie de la tenaille. Mais les chefs français ont pris admirablement leurs dispositions et se sont adaptés, eux et leurs troupes, aux circonstances qui demandaient à la fois de la décision, du coup d’œil et une prompte énergie. Comment eût-on pu obtenir de pareils efforts s’il se fût agi de troupes battues ? Ces deux journées donnèrent aux chefs la conscience de ce qu’ils pouvaient obtenir du soldat français : ce fut le premier « rétablissement. » Elles leur donnèrent à eux-mêmes la première confiance dans la