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ON CHANGERAI PLUTÔT LE CŒUR DE PLACE…

— Parfaitement. Je rejoins la grande nation. Peut-être ne ricanerez-vous pas toujours, en la nommant ainsi.

— Je ne ricane jamais, monsieur Bohier. Je regrette simplement quand un jeune homme ne connaît pas le bon chemin… L’aigle allemand regorge de vigueur… Il doit s’expansionner, c’est fatal. Il convient aux races tombées en féminité de céder le pas. C’est encore tout à fait fatal. Obéir à une raison de sentiment, aller vers la déclivité, vers le déclin (déclin ?… déclivité ? …), aller vers le déclin est une opération sans profit.

Les yeux de Jean étincellent. Il perd toute prudence.

— Monsieur Kummel, quand vous vous trouverez devant la baïonnette d’un de nos chasseurs alpins, de quel côté sera le déclin ?

Le Lehrer blêmit. Cette hypothèse le trouble. Le calme renaît.

— Utopie ! Vieille conception de la lutte des peuples ! Avec nos engins de destruction, le combat se déroule à quinze kilomètres de distance. On peut laisser les baïonnettes à la maison à côté du parapluie.

Kummel a un rire puissant. Il salue. Il s’éloigne.

— Sapristi !… dit Reymond, il est temps que nous partions, les uns et les autres… Cette histoire de baïonnette… Il ne l’a pas avalée. Un petit frisson lui a couru le long de l’échine.

— Vous ne raconterez rien à papa, n’est-ce pas ? C’est inutile.

— Mais non, mon ami, mais non…

Besançon. Cette fois-ci, le candidat se montre plus délié, plus nuancé. Il est reçu avec mention.

Le bon petit diner après le télégramme lancé à Friedensbach ! Tout est bon, tout est beau. On se promène au bord du Doubs. On erre dans les vieux quartiers, on admire la sobre élégance des maisons basses, les cours ombreuses, cette fenêtre grillagée, cette porte à heurtoir, cet équilibre posé sur les choses. On entre dans la boutique où sont les fruits cueillis du matin, le raisin roux. Un chat dort sur le comptoir, un canari chante au plafond. La grand’mère qui sert est aimable. Elle a de jolis mots, de jolies manières… L’interminable retour. Friedensbach.