Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 36.djvu/368

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

matinée de courses harassantes, de faire un petit déjeuner turc, sur une petite table, dans une petite boutique tenue par un colosse moustachu et tout bardé de coutelas, qui vous sert des brochettes d’oisillons ou d’agneau grillé, des laitages à la pistache et à l’amande, des jus de citron et d’orange dans des carafes glacées : la délicieuse dînette !… Et aussi ceux de Smyrne, de Beyrouth et de Damas : tapis de laines profondes et fleuries, où les pieds s’enfoncent moelleusement comme dans l’herbe d’un pré, harnachemens et pompons, colliers de verroteries éclatantes comme des turquoises ou des émeraudes… Damas surtout, avec son souk des confiseurs, plus secret et plus ombreux encore que celui des parfumeurs de Tunis, — véritable caverne-des-saveurs-exquises, où pendent en stalactites, où viennent se congeler dans le sucre grumeleux les petits abricots tiquetés, à peine plus gros que des mirabelles, les cédrats, les limons et tous les fruits de l’oasis, cette magnifique et verdoyante oasis de Damas, qui, mieux que la Bagdad chimérique de Musset, aurait pu offrir à sa cavale


… des luzernes fleuries
Et des puits dont le ciel n’a jamais vu le fond.


Oui, on se rappelle tout cela. La seule idée de la foire de Fez vous invite d’elle-même à ce petit voyage intérieur. Nous avons tous tant de peine à nous défendre contre le clinquant de notre vieil exotisme littéraire, — et encore plus de peine à nous en débarrasser !… Eh bien ! il paraît que la foire de Fez ce n’est pas cela du tout ! Encore qu’elle se déploie dans un cadre des plus pittoresques, — une cour du palais du sultan entourée de ces vieux remparts à créneaux, que la photographie a déjà popularisés chez nous, elle ressemble à toutes les foires européennes que nous connaissons. On y trouve, comme partout, des chevaux de bois, des montagnes russes, des cirques. Vous entendez d’ici le tapage ? Neuilly et Saint-Mandé se sont transportés là-bas, à travers le bled marocain. Et l’on y déchiffre, sur les baraques provisoires, les noms d’une foule de maisons françaises et même anglaises, qui exhibent, aux yeux ébahis des indigènes, leurs déballages de faïences, de verreries, de rouenneries et d’étoffes de toute sorte. On peut y admirer aussi des échantillons, particulièrement instructifs pour nous, de l’industrie du pays : boiseries peintes, tapis et broderies mauresques. Cette foire, qui ressemble à toutes nos expositions industrielles par