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des siècles. Le régime constitutionnel, fondé par les traités de Westphalie avec le consentement des peuples et des gouvernemens, fut, pendant cent cinquante ans, le régime normal de l’Allemagne européenne.

Peu à peu, cependant, ce qu’il avait de vieillot et d’incohérent apparut : « Le voyageur qui parcourait l’Allemagne centrale, avant 1866, s’amusait fort de voir, toutes les heures ou toutes les deux heures, aux changemens dans l’uniforme des soldats et à la couleur des barrières du chemin de fer, qu’il venait de passer de l’un de ces royaumes en miniature dans l’autre. Il eût été surpris et embarrassé bien davantage un siècle auparavant, alors qu’au lieu des vingt-neuf divisions actuelles, il y avait, des Alpes à la Baltique, trois cents petites principautés, ayant chacune ses lois particulières, sa cour particulière (où l’on copiait, quoique imparfaitement, le pompeux cérémonial de Versailles), sa petite armée, sa monnaie spéciale, ses péages et ses douanes à la frontière, une foule de fonctionnaires pédantesques et touchant à tout sous les ordres d’un premier ministre qui était, en général, l’indigne favori du prince et à la solde de quelque cour étrangère[1]… »

L’Allemagne paraît n’avoir été frappée des vices de ce système à la fois sénile et bon enfant, que quand on les lui eut signalés du dehors. Il ne faut pas oublier, en somme, que cette Allemagne des petites principautés, l’Allemagne des traités de Westphalie, fut celle où naquirent et se formèrent Leibnitz et Kant, Gœthe et Schiller, Mozart et Beethoven, le prince Eugène et Maurice de Saxe, l’Allemagne des penseurs, des poètes, des musiciens, des hommes de guerre, une Allemagne qu’aucune autre n’a ni dépassée, ni atteinte.

Les théoriciens de l’Empire germanique reconnaissaient qu’il y avait, dans l’Allemagne, des élémens naturels de division et, s’ils observaient, dans cette constitution fédérative, quelque chose d’irrégulier, irregulare quidquam, ils vantaient son haut caractère amphictyonique qu’ils comparaient à celui de la confédération hellénique au temps d’Agamemnon et de la guerre de Troie ; Oxenstiern affirmait que cette confusion venait d’un décret de la divine Providence : confusio divinitus conservata. Aussi, Louis XIV, agissant comme « membre de la paix » et

  1. Bryce, Le Saint-Empire Romain Germanique, trad. Em. Domergue, p. 448.