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IMPRESSIONS D'UN COMBATTANT

NOTES DE ROUTE
VI[1]
LA MAITRISE DE L’ARTILLERIE

Les impressions que m’a laissées le village de T… où nous avons pendant quelque temps tâté du Boche, aux environs de la Noël, sont parmi les plus vives que nous aient procurées nos randonnées le long du front, et elles viennent sans cesse en nos mémoires déchirer de leur lancette aiguë la brume vaporeuse et floue où peu à peu s’ensevelissent les choses qui ne sont plus.

Ce village formait alors la pointe extrême d’un secteur qui s’avançait audacieusement dans les lignes ennemies, si bien que l’on y était bombardé non seulement de l’avant, mais de droite et de gauche, et même, en un point, presque de l’arrière. Aussi, souvent une salve, qu’on eût crue française en entendant le départ des coups vous éclater dans le dos, se trouvait être à leur arrivée bel et bien allemande. Le bourg dont la lisière descendante était margée par les tranchées ennemies formait la proue d’un promontoire d’où l’on apercevait en contre-bas, à une douzaine de kilomètres, les toits de Noyon et les tours carrées de sa cathédrale… et souvent aussi les fumées blanches des trains de ravitaillement boches qui émergeaient d’un masque sombre de bois, comme dans

  1. Voyez la Revue des 17 septembre et 1er novembre 1914, 15 mars et 15 juin et 153 juillet 1915.