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des chiffons déchirés, abandonnés par quelque lavandière. Mais à quoi bon décrire ces choses ? Files ont été racontées cent fois par ceux qui les ont vécues, dans l’âpre sensation du corps à corps. A quoi bon décrire le retour des survivans et des blessés, qui sont vibrans encore d’impétuosité, le morne défilé en leurs brancards des grands blessés dont le regard, à défaut du corps, est toujours debout, la tourbe informe des prisonniers dont l’attitude est à la fois de surprise joyeuse d’être encore vivans et de stupeur de bête traquée… Tout cela a été dépeint maintes fois, et de main de maître.

Ce que je voudrais seulement, c’est examiner en quelques mots ici le mécanisme de ces combats presque toujours pareils dans leurs grandes lignes et qui, de tranchée à tranchée, avec les mêmes vicissitudes sanglantes, avec les mêmes sacrifices saintement acceptés, font depuis tant de mois frémir de leurs saccades intermittentes tout le front de France. Ce que je voudrais en un mot, et si j’ose employer cette expression, c’est faire un peu la physiologie de cette forme étrange de guerre qui nous a été imposée, c’est tacher de montrer dans quel sens elle évolue, et comment, par une intervention toujours plus puissante et mieux réglée de l’artillerie, elle doit finalement, avec des sacrifices, inversement proportionnels en hommes et en machines, bouter dehors le Hoche.

On me pardonnera d’aborder ici, « moi qui ne suis roy, ne rien, » des questions de tactique. Mais le phénomène « bataille » est, comme tous les phénomènes naturels, justiciable de l’expérimentation et de la critique scientifiques. Il est, au même degré qu’un* ; réaction chimique ou qu’une maladie, soumis aux lois de l’observation et de la logique. Peut-être, d’ailleurs, le moindre « apprentif, » celui qui a, ne fût-ce que quelques semaines, pris une part active à la guerre, celui qui a, si j’ose employer cette image un peu triviale, mais si juste, « mis la main à la pâte, » celui-là, pourvu qu’il ait des yeux pour voir, des oreilles pour entendre et du sens commun pour déduire, connaît mieux l’art de la guerre que s’il avait seulement suivi, fût-ce pendant vingt ans, les enseignemens livresques, aprioristes, théoriques et systématiques de toutes les académies militaires du monde. « L’expérience est la source unique de la vérité, » a dit Henri Poincaré. Vous me rendrez témoignage que c’est vrai aussi à la guerre, mes camarades, qui de la