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qu’une « préparation » soudaine et brève fut, un temps, considérée comme une condition de succès parce que, pensait-on, l’attaque ainsi déclenchée comportait un élément de surprise, tandis qu’une préparation prolongée eût laissé à l’ennemi le temps de se préparer à la résistance, d’amener ses réserves, de tirer sur les nôtres et de contre-battre d’ailleurs notre artillerie.

Malheureusement l’expérience, la cruelle, mais impeccable expérience, démontra bientôt qu’une préparation d’artillerie aussi courte était, surtout avec les faibles calibres presque seuls existans au début de la guerre, incapable de détruire véritablement les nombreuses résilles de fils barbelés et de démolir suffisamment les retranchemens que l’ennemi renforçait d’ailleurs peu à peu en y adjoignant des blindages et des abris profonds, cuirassés d’une épaisse couche de terre et de madriers. Quant à l’effet de surprise, on constata qu’il n’avait pas l’importance escomptée, les points importans des premières lignes étant de part et d’autre continuellement gardés par des hommes déterminés dont quelques-uns munis de mitrailleuses suffisaient, avec la complicité des fils barbelés, à arrêter des bataillons entiers. Enfin, pour ce qui est des réserves ennemies, on s’avisa qu’il y avait pour les empêcher de déboucher un meilleur moyen que d’éviter de les prévenir (car avec le téléphone on est vite prévenu), c’est le tir de barrage.

Qu’est-ce donc que ce tir particulier dont l’emploi est aujourd’hui mentionné presque chaque jour dans nos communiqués ? C’est, comme son nom l’indique, une sorte de barrage que l’on crée entre deux régions du terrain en envoyant sur la ligne droite idéale qui sépare ces deux régions une rafale continue de projectiles. Ainsi, tandis que dans les tirs ordinaires d’artillerie on vise un objectif déterminé à détruire ou à bouleverser, dans les tirs de barrage on crée seulement, en une zone arbitraire du terrain, une sorte de nappe étroite et mortelle qu’une troupe ne peut traverser sans danger. Le tir de barrage est comme un long détroit de mort creusé soudain entre deux territoires et qui interdit de passer de l’un à l’autre… autrement que dans la barque du nocher Caron.

Tout cela conduisait à cette conclusion inévitable : si l’on voulait attaquer sans gaspiller outre mesure les vies précieuses des fantassins, il fallait à la fois détruire d’abord de fond en comble les réseaux protégeant la ligne ennemie et les