Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 36.djvu/399

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surtout, l’union fait la force ; si aujourd’hui le canonnier et le fantassin s’aiment et s’estiment, si au cantonnement l’un est toujours sur de trouver chez l’autre l’eau et la paille, qui sont en cette guerre ce que le pain et le sel étaient dans le monde antique, c’est parce qu’ils comprennent tous l’utilité de coordonner leurs rôles disparates. Contrairement à ce que certains pensaient naguère, « chacun pour soi et Dieu pour tous » n’est pas la devise des victorieux, et il n’y a pas entre les armes de « liaisons dangereuses. »

L’artillerie met d’ailleurs aujourd’hui elle-même des observateurs dans les tranchées avancées ; mais comme son personnel est limité, elle continue à utiliser aussi ceux de la « ligne. » La fusion des âmes du canonnier et du fantassin en un amalgame inoxydable s’est complétée le jour où l’artillerie elle-même s’est transportée dans les tranchées, le jour où l’infanterie a eu ses canons à elle, près d’elle. L’artillerie de tranchée, dont je voudrais expliquer maintenant le rôle et l’importance, est servie par des canonniers, mais « liée » à l’infanterie.

Un naturaliste, tombé soudain de la lune et qui étudierait la faune qui voltige dans l’air du côté de nos marches de l’Est, ferait des remarques bien imprévues. A côté des légères libellules, des moustiques musicaux, des oiseaux, que le canon n’a point chassés, ni le Lebel, car il les terrorisait moins que le fusil de chasse, il y verrait passer dans la brise d’étranges et gigantesques scarabées métalliques qui planent un instant silencieusement sur leurs ailes d’acier, puis s’écrasent au sol avec un grand fracas ; ce sont les « torpilles aériennes » que notre artillerie de tranchée déverse copieusement sur l’Allemand, ou plutôt sur le Boche. Ce dernier mot, qui chiffonnait certaines oreilles délicates et apparemment encore mal adaptées au son du canon, peut être en effet employé sans vergogne depuis que le Journal officiel, publiant la citation de Jacquet assassiné comme on sait, à Lille, l’a intronisé officiellement, il y a peu, dans la langue.

La torpille aérienne est, comme sa sœur marine dont la forme oblongue et fuselée est analogue, chargée d’une grande quantité d’explosif, et comme elle munie d’ailettes qui assurent sa direction, l’empêchent de culbuter et la font tomber sur la pointe. Elle est lancée suivant ses dimensions, par divers légers