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ou T. S. F., reste lié à la batterie et permet de régler le tir à des distances insoupçonnées autrefois. L’aéroplane était le complément nécessaire, et, si j’ose dire, le périscope du canon lourd.

Mais, se récrient ceux qui ne veulent pas s’être trompés, nous savions déjà que l’artillerie lourde était essentielle dans la guerre de positions, et si elle s’impose aujourd’hui, c’est uniquement parce que la présente lutte s’est, contre toute attente, figée précisément en guerre de positions. Malheureusement, rien n’est plus faux : si les Franco-Anglais à Charleroi, si les Russes en 1915, si les Serbes, si plus récemment les Roumains dans la Dobroudja durent reculer, malgré des prodiges de vaillance, c’est surtout parce que les Allemands étaient munis de pièces lourdes qui leur permettaient de déblayer le terrain devant eux à grande distance, sans que l’artillerie légère adverse put les atteindre. C’était la lutte en terrain découvert et à distance d’un guerrier muni d’un fusil contre un autre qui n’aurait qu’un revolver. Dans toutes ces affaires, la portée supérieure des projectiles allemands permettait aux troupes du Kaiser de n’avancer que derrière un mouvant rideau de fer mortel, comme derrière un lointain bouclier. Pour ne m’arrêter qu’à l’offensive de Mackensen en Dobroudja, ce sont évidemment ses gros canons seuls qui détruisant, comme l’a remarqué M. Charles Humbert, à plusieurs kilomètres en arrière du front des Roumains, la voie de chemin de fer qui les ravitaillait, disloquant, par-dessus leur artillerie de campagne impuissante, leurs communications, a obligé nos alliés à cette retraite. Dans tout cela il s’agit de guerre, non pas de position, mais au contraire de mouvement, et c’est ainsi que le canon lourd, rendu mobile grâce à la traction mécanique, s’est montré l’arme la plus efficace de la guerre de mouvement. Ses projectiles précèdent comme des fourriers de mort la marche des troupes, les abritant, du même coup, des ripostes impuissantes derrière les arceaux bruissans de leurs gigantesques trajectoires.

L’emploi offensif du canon lourd comme l’emploi défensif du fil barbelé tend à ce but, tenacement recherché par nos ennemis, qui est de détruire mécaniquement à distance l’ennemi sans lui permettre le contact, l’abord direct. Ils ont voulu faire de la guerre, si j’ose employer ce néologisme, une « télédestruction. » Certes cette forme de guerre où la valeur et la force des soldats ne sont que des fétus emportés dans une