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V. — DU STATUT EUROPÉEN DE L’ALLEMAGNE

L’Europe de 1648, l’Europe de 1814-1815, était un système fondé sur le droit des traités qui avait pour principe la raison et pour moyen l’équilibre. Désorganisée par l’ascension de la dynastie militaire prussienne, cette Europe n’en a pas moins subsisté, pour ainsi dire, à l’état latent. En la débarrassant d’une encombrante superfétation, on la retrouve dans ses cadres anciens : c’est le bénéfice naturel d’un retour au statu quo ante.

Cependant, il est impossible à l’histoire de remonter son cours et d’en revenir soit à l’année 1866, soit, mieux encore, à cette année 1848, où la Diète de Francfort délibérait sur la meilleure constitution à donner à l’Allemagne réalisant son unité. Depuis lors, les faits et les idées ont marché. Pour construire une bonne Allemagne, sagement articulée au dedans et au dehors, il faut tenir compte des événemens du passé, certes, et des enseignemens qu’ils apportent, mais aussi des faits récens et des habitudes nouvelles. Il n’entre dans la pensée de personne d’anéantir les populations allemandes ni même de porter atteinte à leur liberté. La limite précise de l’intervention de l’Europe est celle de sa propre sécurité.

Depuis l’année 1848, l’Europe, réalisant le vœu de la Révolution française, a cherché la formule de son évolution dans un principe ignoré des siècles antérieurs, le « principe des nationalités. » Quoique le monde politique ait vécu, depuis près d’un siècle, sur ce principe, il est presque impossible de le définir avec une suffisante précision : c’est un « lieu commun, » un truisme à peu près insaisissable, comme beaucoup de truismes qui, parce qu’ils sont acceptés sans discussion, laissent de la marge à l’imprécision et au rêve.

La nationalité suppose, chez des peuples unis ou séparés, un certain nombre d’aspirations communes, résultant soit d’une parenté d’origine, soit de l’habitat géographique, soit d’une certaine communauté de langage, de mœurs, d’éducation, de religion, etc. L’idée de nationalité est plus large et plus floue que l’idée de nation. La nation a des contours mieux définis et une volonté de vie commune plus forte. Mais l’analogie entre les mots, une interprétation plus ou moins exacte de certains événemens historiques (par exemple le partage de la Pologne,