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de devenir soldat ; et son « patron » l’approuve, tout heureux de le voir se dévouer pour « l’œuvre nationale, » et accepte volontiers la perspective du léger surcroît de besogne qui va naître pour lui de ce départ du jeune héros. Mais quand, en suite, à l’exemple du secrétaire, le fils aîné de M. Britling, — son cher Hugues, qu’il a eu d’une première femme tendrement aimée, — lui déclare qu’il va revêtir l’uniforme khaki, un éclair de révolte douloureuse traverse le cœur du zélé patriote. Certes, M. Britling est décidément « réveillé, » et convaincu de l’obligation pour tous les Anglais de collaborer à « l’œuvre nationale ; » mais, tout de même, il ne s’était pas imaginé que le « sérieux » de la situation s’étendrait jusque-là ! Tout au plus se rassure-t-il en songeant que, sans faute, la guerre finira avant que son Hugues soit prêt pour la tranchée.

Et des semaines s’écoulent, pendant lesquelles une vague « somnolence » se répand, de nouveau, sur la maison de M. Britling. Cette fois, le réveil se produit sous le coup de la stupeur apportée à l’ex-apologiste de la « culture » allemande par la révélation d’une affreuse série d’ « atrocités. » Appuyées sur un appareil imposant de témoignages, ce sont d’effrayantes histoires « de vieillards, de femmes, et d’enfans fusillés au bord des routes, de blessés que l’ennemi a férocement achevés à la baïonnette ou qu’il a brûlés vifs, d’habitans inoffensifs qu’il a massacrés. »


M. Britling tâchait de toutes ses forces à tenir ces histoires pour autant de fables. Elles contredisaient son habitude de concevoir le monde. Elles amenaient un trouble fatigant dans son esprit… Et ce fut seulement plusieurs mois après le début de la guerre qu’il se trouva enfin tout à fait obligé d’admettre, comme une réalité sinistre, mais certaine, cet emploi systématique du meurtre et du viol, de la destruction et de vingt autres formes de l’ignominie, qui avait accompagné l’invasion allemande en Belgique et en France.

La première chose qui le pénétra de la conviction d’une différence profonde entre l’attitude des Anglais et celle des Allemands vis-à-vis de la guerre, ce fut la vue d’une collection de journaux comiques allemands, dans l’atelier d’un peintre de ses amis. Ces journaux étaient remplis de caricatures des Alliés, et tout particulièrement des Anglais ; ils révélaient une force et une qualité de passion également prodigieuses. L’excès de leur haine et l’excès de leur ignominie effaraient M. Britling. Nulle trace, là-dedans, d’orgueil national ou de dignité nationale, mais rien qu’un désir illimité de blesser et d’humilier ! M. Britling restait assis, avec ces feuillets furieux dans ses mains, le cœur envahi d’une espèce de honte.

— Mais, dit-il enfin, il n’est pas possible que ces images reflètent l’état d’esprit général en Allemagne !

— Si fait, absolument ! répondit son ami. L’Allemagne entière se trouve