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parut la patronne de l’indépendance des peuples. Il se fit une confusion entre le patriotisme libérateur et le militarisme dominateur. Cette confusion dicte à Treilschke la phrase qui revient dans son œuvre comme un leitmotiv : « C’est la Prusse seule qui a fait l’unité germanique, moins encore par l’action réfléchie de ses gouvernails que par la force intérieure de ses institutions, ou, ce qui revient au même, par l’esprit qui a présidé à son évolution politique. » Et l’écrivain, allant jusqu’au bout de sa pensée, dit encore : « Les hobereaux prussiens ont fait l’unité germanique. » Ce fut cette thèse que soutint Bismarck. Ses succès l’accréditèrent comme le messie des hobereaux prussiens. L’unité allemande se fît, non par l’application du principe des nationalités avec ses corollaires de liberté et d’unité européennes, mais par la suprématie d’une dynastie et d’une caste conquérante.

L’art de Bismarck fut d’entretenir cette confusion dans l’esprit des peuples et d’exercer, par les peuples, une pression : sur la résistance des gouvernemens. Progressivement depuis 1870, les derniers retranchemens du particularisme furent forcés et l’Empire féodal et militaire s’installa.


L’effet certain de la victoire des Alliés sera de dénouer cette trame funeste et de dissiper ce tragique malentendu. Le militarisme prussien est déjà déconsidéré, puisqu’il a manqué à toutes ses promesses, échoué dans toutes ses entreprises. Colonies, marine, industrie, commerce, expansion, tout est anéanti ou compromis. On tablait sur la guerre : elle est ruinée et est la cause de toute ruine. Dès que le militarisme n’était pas vainqueur en six semaines, il était battu fatalement ; le voici aux abois ; il capitule, je le dis parce que je le sais. Il sera rejeté, pour toujours, de la face de la terre par la défaite absolue que les Puissances ont juré de lui infliger et qu’il est de leur devoir de lui infliger. D’ores et déjà, l’Empire de Bismarck est un sépulcre blanchi.

On se trouvera donc, bientôt, en présence d’une Allemagne qui cherchera ses voies au milieu d’une Europe libérée, et décidée à prendre les précautions nécessaires pour que le danger du pangermanisme des militaires et des professeurs soit à jamais écarté.

Comment sera constituée cette future Allemagne européenne ?…