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— Oh ! quant à en avoir le désir, non pas ! avait-il répondu. Au contraire, j’avais résolu de lâcher définitivement le dessin pour suivre les cours de physique du professeur Cardinal ; et mon seul désir était de m’installer à Cambridge le plus vite possible. Mais il s’agit là d’un travail que tous les Anglais de mon âge sont tenus de faire. C’est comme si l’on avait à se débarrasser d’un cambrioleur, ou d’un chien enragé ! La tâche n’est pas du tout à mon goût : mais il faut bien l’accepter !

Après quoi le jeune volontaire avait accompli de son mieux cette « tâche » nouvelle, mais toujours sans y mettre l’ombre d’enthousiasme. Longtemps il était resté à s’instruire, dans une garnison voisine du village où demeuraient les Britling, de sorte que ceux-ci l’avaient vu, chaque semaine, se mêler à leur vie comme par le passé. Et puis l’heure était venue, pour lui, de s’en aller « au front, » d’où il avait écrit des lettres pleines d’entrain et de belle humeur, mais qui, elles non plus, ne donnaient guère l’idée d’une âme de « héros. » Évidemment le jeune homme continuait à regarder surtout son métier de soldat comme une « tâche » acceptée par devoir, — ou plutôt imposée fatalement, par le danger commun, à tout Anglais valide, sans égard à son rang social ni à ses opinions ou préférences individuelles. Dans la dernière de ces lettres, pourtant, certains passages avaient une chaleur juvénile inaccoutumée.


Figurez-vous, écrivait Hugues Britling, que j’ai quelque chose à vous raconter ! Je viens de prendre part à un combat, un combat pour de bon, et dont je suis sorti sans la moindre égratignure. J’ai même ramené deux prisonniers, capturés de ma main. Des hommes sont tombés tout près de moi ; et je les ai vus tomber presque sans y faire attention. Toute la chose m’a laissé le souvenir d’une « partie » infiniment animée et « excitante, » dans le genre de celles que nous jouions jadis, dans le jardin de notre maison. Sans compter tels détails de ce souvenir qui me font plutôt l’effet de récits lus dans un livre ou dans un journal illustré que d’impressions directement éprouvées.

Depuis l’aube, nous attendions l’ordre de l’assaut, avec une espèce d’émoi pareil celui du candidat qui attend sa comparution devant l’examinateur. Et puis nous voilà sortis de la tranchée ! Cette sortie, voyez-vous, c’est le moment capital. On a comme l’impression d’être tout frais couvé, et lancé tout d’un coup dans un monde immense ! « En avant ! En avant ! » crient les officiers. Et chacun pousse un grognement, et s’élance en avant. Quand on voit des hommes tomber, on n’en court que plus vite. Le seul ennui, ce sont ces fils de fer où les jambes s’empêtrent. Et puis aussi, tout de même, il y a l’espèce de gêne qu’on éprouve d’être à découvert, après s’être si longtemps terré dans les tranchées. Et