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ramasser par centaines. De les ramasser, plutôt que de les faire. Dans les bois et dans les carrières, sous Verdun, depuis le 24 octobre, ç’a été un grouillement d’habits gris sortant de leurs trous devenus des enfers; le franc et pittoresque langage militaire a spontanément, pour peindre ce spectacle, rencontré l’image juste : « ils déboulaient comme des lapins. » Poméraniens, Brandebourgeois, tous ceux dont l’Empereur aime à redire les noms pour fouetter l’amour-propre et redresser la fidélité des provinces qui furent les pépinières de l’armée prussienne, aujourd’hui aussi dévastées, aussi dépeuplées d’hommes, que le sont d’arbres nos forêts de l’Est rasées par leur artillerie lourde, il avait fallu encore les chasser de Douaumont et de ses alentours où la volonté têtue du kronprinz a accroché tant de cadavres. De Vaux, ils se sont chassés tout seuls, avant et de peur qu’on ne les chassât : ils ont déménagé, non comme le dit l’expression populaire, mais au son du canon qui, multiplié, ininterrompu comme il l’est, fait le plus effroyable, énervant, abrutissant et à la fin insupportable fracas. Maintenant, nous leur retournons avec avantage les leçons qu’ils nous ont données ; les élèves ont passé les maîtres.

Pour nous, ici, qui, à défaut de compétence en stratégie ou en tactique, sommes attentifs à recueillir les signes, c’en est un, que le soin extrême avec lequel l’État-major impérial a préparé, dans l’opinion allemande, l’évacuation du fort de Vaux. Il marque de la manière la plus sûre une dépression de l’esprit allemand, non seulement sur le front et aux armées, mais plus encore peut-être, à l’arrière, et dans le peuple, dans le corps entier de la nation; on peut, sans forcer les choses, affirmer hardiment qu’il y a en Allemagne une baisse du thermomètre. La Marne, l’Yser, Verdun, la Somme, — pour ne parler que de l’Occident, — ont fini, au bout de deux ans, par faire brèche dans la foi, dure comme fer, en l’infaillibilité allemande: cette crédulité héréditaire, congénitale, et savamment développée par la Kultur, qu’aucun coup semblait ne devoir crever, chancelle ou hésite. L’affaire de Verdun, de ses débuts à son dénouement, montre comme dans un graphique la lente dégradation des ambitions, des intentions ou des prétentions allemandes. On y voit, mois par mois, se dégonfler le ballon allemand, qui est, nous en convenons, un ballon colossal, un Superzeppelin, mais dont la baudruche n’est tout de même pas invulnérable. A l’origine, le 21 février, dans la ruée des cinq premiers jours, le kronprinz ne se promettait rien de moins, en s’emparant de Verdun, que de se