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une comédie, un tour de passe-passe : on créera, sans le créer, un royaume sans terre et sans roi; en le déliant, on se le liera; par ce moyen, on y recrutera tout à l’aise, puisqu’il sera censé recruter lui-même, puisque ses régimens auront leurs uniformes, leurs étendards, leurs numéros, et que leurs aigles, au lieu d’être noires sur fond jaune, seront blanches sur fond cramoisi; Cela fait, on se frottera les mains et l’on pourra se regarder dans son miroir: ce ne sera qu’une grimace, mais qui fera du moins qu’on ressemble un peu au grand ancêtre.

Et, en effet, par cette grimace au moins, on lui ressemble. « Ces derniers (les monarques alliés), continue la proclamation, désirent ainsi exaucer les aspirations à l’autonomie et au développement du royaume de Pologne, en tenant compte comme il convient des circonstances politiques générales de l’Europe comme de l’intérêt et de la sécurité de leurs propres États. » C’est justement ce que prétendait Frédéric dans les années qui précédèrent 1772. Ugolin des nations, il ne déchirait la Pologne que pour lui conserver une Prusse. Son arrière-petit-neveu est dans la tradition. Il ne reconstitue, en hypothèse, une Pologne que pour conserver sa Pologne. Et naturellement il l’emprunte à autrui. On ne peut, disait une vieille maxime de chancellerie, s’enrichir que de ce qui n’est pas à soi. Une autre disait : A tant faire que de donner ou d’offrir, mieux vaut offrir ce qui ne vous appartient pas. Quand il eut prélevé son bon tiers de l’ancien royaume de Pologne, Frédéric fit graver à Berlin, par Jacques Abraham, une gravure dont la légende portait : Regno redintegrato. C’est à peu près de la même manière que Guillaume II « réintègre » le royaume nouveau. Et l’on trouverait d’autres analogies. M. de Bülow a, paraît-il, atténué, dans la dernière édition de son livre, les passages sur la Pologne; mais nous nous rappelons combien, avant cette correction, le ton de haine et de mépris nous en avait choqués; et il n’était question, alors, que de la Pologne prussienne et des Polonais de l’Empire. Si les Polonais de toutes les Polognes, les Polonais en général, n’étaient pas assez édifiés sur les sentimens séculaires et persévérans de la Prusse à leur égard, qu’ils relisent, non les Mémoires, compassés et surveillés, de Frédéric II, quoiqu’ils contiennent des phrases bonnes à retenir, comme celles-ci : « Le Roi fondait ses prétentions sur la Pomérellie et sur une partie de la Grande-Pologne située en deçà de la Netze, sur ce que ces provinces, autrefois annexées à la Poméranie, en avaient été démembrées par les Polonais. Il revendiquait la ville d’EIbing en vertu d’une prétention liquide et de l’argent que ses ancêtres avaient avancé sur cette ville à la République…, Nous ne voulons pas répondre