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ouverts ses yeux de jolie poupée. Aucun bruit ne nous venait de la ville toute proche et, depuis un instant, nous parlions à peine. Ce soir-là, c’était l’odeur grisante des clématites qui dominait dans l’air ; elles couvraient, comme d’une épaisse neige blanche, déjà un peu noyée d’ombre, le toit d’une vieille petite cabane rustique, presque maisonnette à lapins, dont la fenêtre ouverte, non loin de nous, laissait paraître l’intérieur tout noir.

Pauvre petit, aux larges yeux de poupée, qui ne fit qu’une si courte visite aux choses de ce monde ! Je l’ai à peine connu la durée d’une saison, car il était né pendant un de mes voyages aux Indes et il fut emporté par une épidémie infantile pendant que j’étais en Chine. Pauvre tout petit, qui regardait fixement, comme hypnotisé, le dedans obscur de la cabane, aux clématites ! Jamais encore je n’avais tant remarqué son expression, et c’est toujours son image de cette fois-là que je retrouve en souvenir, quand je repense à lui. Voyait-il quelque chose, ou bien rien ? Pensait-il déjà quelque chose, ou bien rien ? Qui dira jamais ce qui s’éveille ou ne s’éveille pas dans ces mystérieuses petites ébauches de têtes humaines ? L’un des deux autres, — celui de trois ans, tout chevelu de boucles blondes, — qui avait suivi son regard attentif, s’effara tout à coup devant la minuscule fenêtre : « Il y a une figure, là ! » dit-il. Et il répéta plus fort, d’une voix changée par la frayeur, en se jetant contre sa mère : « Si ! Il y a une figure. Je te dis qu’il y a une figure ! » Machinalement, je regardai aussi. Alors la figure m’apparut soudain, ridée, édentée, cadavérique, vieille femme aux longs cheveux ébouriffés, et, avant de s’effacer, elle prit le temps de cligner de l’œil, pour me faire signe de venir.

Bien entendu, je n’eus même pas l’idée d’entrer dans la cabane pour vérifier, étant d’avance parfaitement sûr de n’y trouver personne. Mais il fallut vite emmener l’enfant, qui avait trop peur pour rester là. Et combien j’aurais été curieux de savoir s’il s’était cru appelé, lui aussi ! Cependant je n’osai pas le lui demander, par crainte de préciser et d’agrandir son épouvante.


25 juillet 1914.

Et maintenant voici la dernière de la série macabre, une vision qui diffère très peu des précédentes, si peu que je vais tomber dans des redites en cherchant à la fixer ici ; elle a cepen-