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battent prennent goût au métier nouveau. « Je ne donnerais pas ma place pour tout au monde, » note un curé du diocèse de Nevers, qui a le grade de sergent. Tel autre demande des prières « pour qu’une âme guerrière se forme » en lui. « Le général de brigade me trouve le plus poilu de tous les poilus, » raconte fièrement un lieutenant Jésuite. On a vu des prêtres, au dépôt, devancer leur tour de départ, afin de remplacer des pères de familles nombreuses ; on en a vu, sur le front, s’offrir pour des missions périlleuses, aux lieu et place des soldats commandés ; l’attrait du joyeux sacrifice prend ici la saveur d’un acte de charité.

D’aucuns, à vrai dire, sont déconcertés tout d’abord par cette vie nouvelle, et par le langage, et par les allures des camarades : tel ce Père Eudiste, maréchal des logis d’artillerie, qui nous confesse en toute franchise :


Tout fraîchement débarqué de Colombie, les apparences me choquèrent quelque peu. Là-bas, le paysan a par atavisme et par éducation un langage foncièrement chrétien… J’étais bien exposé à prendre trop au sérieux des paroles qui pouvaient me sembler des reliefs d’opinions anticléricales, antîpatriotiques et autres. Je n’ai pas tardé à m’apercevoir que mes braves servans valaient infiniment mieux que leurs paroles. Même remarque au point de vue religieux : un peu d’observation attentive, et sous les boutades et les critiques se découvre le chrétien.


Mais lorsque la proximité du peuple a fait ainsi découvrir au prêtre ce christianisme subconscient qui survit au fond de l’âme française, et qui, lors même qu’il n’éclaire plus les intelligences, suscite encore les sacrifices, alors la tranchée se révèle soudainement aux plus timides des prêtres comme un champ d’action ; et leur temps de service, suivant l’expression du cardinal de Cabrières, leur apparaît comme « un temps de mission. » « Mourir après avoir ouvert le ciel à une âme, dit l’un d’eux, c’est la mort que nous rêvons tous, si Dieu nous appelle. » Le rêve s’accomplit, pour le Jésuite Pierre de Daran, avec une plénitude inespérée : ayant quitté sa mission de Madagascar pour être attaché comme adjudant à un régiment colonial, il se trouva sur la Provence au moment où elle coulait : restant jusqu’au bout sur le vaisseau qui périssait, il aida tous ses camarades à mourir, et puis il mourut. Le bien des âmes ramène certains prêtres au front avant que leur permission ne soit expirée. « Pourquoi suis-je prêtre ? écrit l’un d’entre eux.