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à l’hospice d’Harbonnières, sut, au péril de sa vie, dérober à la vue des Allemands les soldats français qui lui étaient confiés, et les fusils de ces soldats : « Nous croyions notre dernière heure arrivée, raconte-t-elle, on priait, on invoquait tous les saints, on installait dans la cour les femmes les plus vieilles pour qu’en entrant les Allemands vissent les vieillards. » Ayant ainsi mobilisé les vieilles femmes pour servir de paravent et tous les saints de sa connaissance pour servir de paratonnerre, sœur Marie de la Flagellation constata que les Allemands avaient des yeux pour ne point voir, et sut, tout proche d’eux, mettre en sûreté les blessés mêmes qu’ils cherchaient. Sœur Ignace, religieuse du Très Saint Sauveur, se réjouissait, en Alsacienne fidèle, de soigner sur terre d’Alsace reconquise, dans son ambulance de Moosch, des blessés français ; elle était « un drapeau autour duquel nous nous serrions tous, » écrit d’elle son médecin-chef. Un jour, un obus passa, qui renversa le drapeau ; mais je ne crois pas que sœur Ignace rêvât après le ciel quelque chose de plus beau qu’un acte de décès rédigé en français par les autorités françaises d’une commune d’Alsace.

Il n’y avait à Clermont-en-Argonne, à la fin d’août 1914, d’autre maison habitée que l’hospice : sœur Gabrielle, des Filles de la Charité, y soignait avec ses Sœurs 42 vieillards, et un petit blessé français qu’elle cachait. L’armée du Kronprinz survint avec des blessés allemands : « Nous serons leurs infirmières, dit sœur Gabrielle, mais respectez la ville. » On le lui promit, et néanmoins les flammes s’élevèrent. Alors sœur Gabrielle, agissant comme l’unique autorité du village abandonné, interpella le colonel : « La parole d’un officier allemand, lui dit-elle, ne vaut pas, décidément, celle d’un officier français. » Et l’Allemand ainsi flagellé mobilisa ses sapeurs pour combattre l’œuvre de ses porteurs de grenades : le feu se ralentit, s’éteignit. En une autre circonstance, sœur Gabrielle sauva la vie à vingt-cinq blessés français, prisonniers. Et puis l’Allemand dut reculer, et pendant de longs mois Clermont-en-Argonne, visité de temps à autre par quelques obus, fut pour nos troupes un grand centre d’hospitalisation.

Mais au début de février 1916, les obus s’acharnèrent : ils visaient Clermont pour gêner le ravitaillement de Verdun. Et sœur Gabrielle dut en quelques heures évacuer tout l’hôpital, ne laissant que sept morts et deux mourans ; les civils aussi