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honneur, que volontairement ils acceptaient. La présence ou la proximité des malheurs publics appelait tous les citoyens, qu’ils eussent ou non des mandats électifs ou des fonctions officielles, à mettre au service de leur coin de terre toutes les ressources de leur courage, ou de leur ingéniosité, ou de leur compétence ; dans les régions envahies, on voyait se dresser, au premier rang parmi ces citoyens utiles, les évêques et les prêtres. La population nancéenne, avant d’être sauvée de l’invasion par le général de Castelnau, avait trouvé dans son vieil évêque, Mgr Turinaz, un de ces maîtres d’énergie qui s’opposent au fléchissement des âmes.

L’atmosphère à Senlis, dans l’après-midi du 2 septembre 1914, était toute chargée de menaces : on fusillait le maire, on voulait brûler la ville. Des habitans, disait-on, avaient tiré du haut du clocher. L’abbé Dourlent, archiprêtre, un instant mandé comme otage, avait eu la permission de retourner dans son presbytère ; mais il en sortit, revint à l’état-major allemand… C’était se livrer, assurément, mais c’était peut-être aussi sauver la ville. Et le salut de la ville valait bien un risque de mort. Il jura que la clef du clocher n’avait pas quitté sa poche, et l’incendie fut contremandé. L’archiprêtre avait, à la dernière minute, empêché que Senlis ne devînt un second Louvain.

Le 3 septembre au matin, Meaux cessait d’être en communication avec la France : un dernier train partait, et deux mille habitans attendaient, d’heure en heure, l’arrivée des Allemands. Ils étaient à peu près sans ressources ; aucun pouvoir civil n’était là, pour organiser leur vie. Mais l’évêque était resté, avec ce génie du commandement, qui sait dominer tous les périls, et qui les écarte. La gare de Meaux, durant le mois d’août, l’avait vu prendre contact, du matin au soir, avec les soldats qui partaient ; sa charité se tournait désormais vers les civils, presque tous indigens, demeurés orphelins dans une ville sans défense. Une journée suffit à Mgr Marbeau, celle du 4 septembre, pour créer à l’hôtel de ville une section d’ordre et de police, une section de salubrité et de voirie, une section des vivres, subsistances et réquisitions ; et, recevant chaque jour les rapports de ces diverses sections, il était à la fois préfet de police, ingénieur de la voirie, contrôleur du ravitaillement. Ainsi régnait l’évêque, et les Allemands n’arrivaient pas ; et tout au contraire, d’heure en heure, survenaient de nombreux blessés