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la Méditerranée, ne nous en parlait jamais. Etait-ce sécheresse absolue d’imagination ? Dévote, avait-elle peur d’éveiller des curiosités romanesques, ou d’humilier des voisins moins fortunés ou plus enfoncés dans leurs habitudes casanières ? Toujours est-il qu’elle paraissait vivre en partie double et qu’il y avait comme une cloison étanche entre sa vie de Spincourt et sa vie d’hiverneuse. Elle rentrait du pays où fleurit le mimosa, comme elle fût rentrée d’une course d’emplettes à Longuyon ou à Etain. Tout de suite, au saut du train, ou de la diligence, elle était à l’unisson avec nos gens. On aurait dit qu’elle les avait quittés la veille. Elle reprenait instantanément les habitudes du village. Comme les bonnes femmes, elle assistait à la première messe en bonnet du matin. Sous le porche de l’église, elle écoutait avec intérêt les commérages de la localité, apprenait les naissances, les morts et les mariages survenus depuis son départ. Elle mangeait le gros pain en couronne cuit pour les paysans, la crème et les œufs de son fermier. Son fils, en chapeau de jonc, la pipe à la bouche, passait des après-midi entiers, le derrière dans l’herbe, aux bords de l’Othain, à pêcher à la ligne des tanches et des chevênes. Ah ! non, ceux-là ne prêchaient point par leur exemple le mépris des usages familiaux, ni la désertion du sol. S’ils quittaient le pays pendant l’hiver, c’est que la délicatesse de leur santé les y contraignait. On les plaignait d’être obligés à cet exil annuel. Eux-mêmes semblaient comprendre ainsi les choses : ils ne se vantaient point de leur absence. Avec des soucis un peu plus relevés que ceux de leur entourage, ils voulaient être de Spincourt et rien que de Spincourt. Ils s’occupaient de l’éducation des enfans, flattaient l’instituteur et le curé. Ils embellissaient l’église, offraient des vitraux pour le chœur, faisaient nettoyer le cimetière. Leur sépulture, à peine moins modeste que les autres, attestait, chez eux, la volonté de dormir leur dernier sommeil au milieu des paysans.

Parmi ces fidèles de la terre, il y avait un petit groupe de jeunes gens et d’hommes mûrs, — étudians ou magistrats, — tous de la même famille, et tous originaires de notre village, qui venaient, chaque année, à l’époque des vacances, se retremper dans la complète vie rustique.

Ils descendaient chez leur tante, ou leur grand’mère, une septuagénaire, qui vivait à Spincourt avec sa fille. Celle-ci,